Après les Fidji et la Nouvelle-Zélande, nous prenons la direction de l’Afrique du Sud, pays connu pour ses avants massifs et rugueux qui terrorisent leurs adversaires depuis des décennies. Parmi eux, un joueur a fait figure d’exception, préférant délaisser le combat des rucks pour venir au soutien de ses trois-quarts et faire parler sa vitesse comme sa technique. Souvent critiqué dans son pays, Bobby Skinstad a pourtant été l’un des avants les plus talentueux du rugby springbok. Portrait.
Le premier impact player Sud-Africain
15 août 1998. Les Springboks affrontent les All Blacks à Durban pour le compte de l’avant dernière journée du Tri-Nations. Cette compétition – créée deux ans auparavant – qui fait s’affronter les Australiens, les Sud-Africains et les Néo-Zélandais dans une formule de matchs aller-retours a jusque-là toujours été remportée par les Blacks. Cette édition est beaucoup plus disputée puisque les joueurs en noir emmenés par l’inarrêtable Jonah Lomu, ont perdu leurs 3 premiers matchs et pourraient donc terminer à une humiliante dernière place en cas de défaite à Durban. Inimaginable au pays du long nuage blanc à un peu plus d’un an de la Coupe du Monde.
La partie est serrée et les All Blacks se montrent pragmatiques par la botte d’Andrew Mehrtens quand Nick Mallett fait entrer en jeu son jeune troisième ligne remplaçant portant le numéro 20. Le joueur ne compte qu’une poignée de sélections et doit apporter sa fougue, sa vitesse et sa technicité ballon en main. Le coaching est payant puisque Bobby Skinstad s’écroule dans l’en-but quelques minutes plus tard pour une victoire finale des Boks d’un petit point (24-23) face à leurs grands rivaux. Une semaine plus tard face à l’Australie à Johannesburg, Mallett adopte la même stratégie pour le même résultat : Skinstad rentre et marque de nouveau pour offrir la victoire à son équipe 29 à 15. Les Sud-Africains remportent le Tri-nations pour la première fois de leur histoire et inscrivent une nouvelle ligne à leur légende après le sacre mondial de 1995.
Le jeune Bobby Skinstad (22 ans) connait des débuts de rêve avec la sélection, lui qui évolue depuis deux saisons avec les Stormers en Super Rugby et qui a déjà représenté son pays sur les circuits du rugby à 7. Le joueur, originaire du Zimbabwe, dénote dans le paysage des avants sud-africains. Par son look et sa décontraction tout d’abord, on l’imagine davantage surfer sur la plage de Muizenberg au Cap que ferrailler dans les rucks. Par son style de jeu également, qui en fait aussi un élément à part au pays des Mark Andrews, André Venter et Ruben Kruger. Très rapide et véloce malgré son gabarit (1m93 pour 105kg), il est adepte des longues chevauchées et se montre très adroit avec le ballon. Nick Mallett voit en lui le remplaçant idéal pour suppléer son massif paquet d’avant en fin de partie et apporter davantage de vitesse face à des adversaires épuisés. Alors que le rugby vient tout juste de devenir professionnel et que le banc sert historiquement à palier des pépins physiques, le technicien sud-africain semble avoir déniché avec Bobby Skinstad le tout premier « impact player » du rugby springbok, pour des résultats probants.
Un leader et capitaine naturel
3 octobre 1999. Les Springboks, tenants du titre, débutent la Coupe du Monde et s’avancent face à des Écossais qui jouent devant leur public du mythique stade Murrayfield à Edimbourg. Pour ce match, la pression est du côté des Sud-Africains : outre une couronne mondiale à défendre après le sacre controversé à domicile en 1995, ils doivent également faire oublier leurs piteuses prestations des mois précédents lors du Tri-Nations. Lors de cette édition, les hommes de Mallett n’ont pu confirmer leur titre obtenu l’année précédente et ont terminé bons derniers avec notamment deux fessées reçues face à des All Blacks revanchards (28-0 à Dunedin et 34-18 à Pretoria). Bobby Skinstad, blessé, n’était pas là lors de la compétition estivale mais fait bien son retour dans l’équipe pour affronter l’Ecosse et cette fois-ci dans un nouveau costume de titulaire. Il a en cela été préféré à l’inamovible Gary Teichmann, poussé à la retraite alors qu’il venait d’enchaîner 39 matchs consécutifs avec la sélection (record toujours en cours en Afrique du Sud). Pour ce premier match, engagé et spectaculaire, les Springboks s’imposent assez largement 46 à 29. Ils enchaînent par la suite avec deux victoires aisées face à l’Espagne (47-3 avec un essai de Skinstad) et contre l’Uruguay (39-3). Ils atteignent donc le stade des quarts de finale sans donner l’impression de forcer leur talent mais en assumant leur statut de favoris. Associé aux combatifs André Venter et Johan Erasmus, Bobby Skinstad trouve sa place dans cette équipe et apporte un supplément technique à un paquet d’avant toujours aussi féroce.
Après une victoire tout en maîtrise face aux Anglais en quart de finale (44-21 avec 5 drops de l’ouvreur Jannie de Beer) les Springboks atteignent le stade des demies finales. Ils s’inclinent face au futur vainqueur australien 27 à 21 en prolongation dans un match engagé et sans essai, conclu par un drop victorieux de Stephen Larkham, le maître à jouer Wallaby. Ils terminent cependant par une note positive face à leur rivaux Néo-zélandais lors du match pour la troisième place (22-18). Cette compétition permet à Bobby Skinstad de voir sa réputation grandir à travers le monde de par son jeu et son aisance auprès des médias. Malheureusement il enchaîne sur une saison quasi blanche pour cause de blessures en 2000 mais revient pour la saison 2001 dans la peau d’un titulaire et est même promu capitaine des Springboks.
Mais le début des années 2000 est une période contrastée pour l’équipe Sud-Africaine. Face à des Wallabies hyper dominateurs après leur titre mondial en 1999 et des All Blacks qui parviennent toujours à se renouveler avec des joueurs de grand talent, les coéquipiers de Bobby Skinstad peinent à enchaîner les victoires. Ils sont ainsi régulièrement abonnés à la dernière place du Tri-Nations malgré quelques beaux coups d’éclats et une génération qui se veut plus joueuse sous l’impulsion de son capitaine. Ce dernier joue certainement son meilleur rugby à titre individuel à cette période au sein d’une superbe troisième ligne complémentaire au possible avec le rugueux Corne Krige et le jeune dynamiteur Joe Van Niekerk.
Exil en Europe et reconversion
8 novembre 2003. Eliminés dès les quarts de finale face aux All Blacks (29-9), les Springboks sortent par la toute petite porte de la Coupe du Monde organisée en Australie. Avant cela ils avaient déjà montré leurs limites en terminant seulement deuxièmes de leur poule derrière les Anglais, futurs champions du monde. Cet échec entraîne une profonde remise en question du rugby Sud-Africain avec la nomination de Jake White au poste de sélectionneur. Celui-ci entend rebâtir l’équipe autour de la génération dorée des Blue Bulls de Pretoria qui dominent le championnat domestique depuis 2002 et qui comptent dans leurs rangs des talents de la trempe de Victor Matfield, Bakkies Botha, Fourie Du Preez en attendant l’éclosion en 2005 d’un certain Bryan Habana. De nouveau blessé et ne faisant plus partie des premiers choix du nouveau sélectionneur, Skinstad fait le choix de s’exiler en Europe.
Il s’installe au Pays de Galles et dispute une poignée de matchs avec Newport (9 apparitions seulement) mais profite surtout de cette période pour préparer son après carrière. Il s’associe avec l’entrepreneur Sud-Africain Johann Rupert pour essayer de développer le club semi amateur de Richmond basé à Londres et joue là aussi quelques matchs pour l’équipe première. Il lance également à cette période sa propre société de management du sport « Esportif » et commence à intervenir en tant qu’analyste pour Sky Sports. Alors que les Springboks redeviennent peu à peu une redoutable machine à gagner, Bobby Skinstad disparait ainsi des écrans radars et beaucoup pensent à une fin de carrière anticipée pour l’ancien capitaine.
Un retour aux sources pour un sacre mondial
19 mai 2007. La finale du Super Rugby oppose pour la première fois de son histoire deux provinces sud-africaines : d’un côté les Bulls de Pretoria emmenés par leur cohorte d’internationaux et de l’autre les surprenants Sharks de Durban qui ont terminé en tête de la saison régulière. Bobby Skinstad s’assoit sur le banc des Sharks au coup d’envoi après avoir fait son retour sur ses terres quelques mois auparavant avec en ligne de mire un projet qui parait fou pour certains : disputer la Coupe du Monde en France en fin d’année. Il s’engage ainsi avec l’équipe de Durban et dispute la Currie Cup sous ses nouvelles couleurs avant d’enchaîner sur le Super Rugby. Il ne joue que 11 matchs dont seulement 4 comme titulaire. En finale, il ne parvient pas à inverser la tendance face à des Bulls trop forts et cliniques qui s’imposent d’un petit point seulement (20-19). Malgré cela, à quelques mois du coup d’envoi de la Coupe du Monde, Skinstad rassure sur son état physique et démontre que ses qualités de leader sont toujours intactes.
Alors qu’il ne figure pas dans le squad initial de Jake White pour la préparation du mondial français, il profite d’une petite blessure de Danie Rossouw pour revenir sur le banc pour un test contre l’Angleterre le 2 juin 2007. Il ne quitte plus le groupe par la suite et joue même un match comme titulaire et capitaine contre l’Australie lors du Tri-Nations en profitant d’une large revue d’effectif mise en place par son sélectionneur. Il s’envole finalement pour la France en octobre dans un rôle qu’il connaît bien : celui du remplaçant destiné à sortir du banc en cours de partie pour donner un coup d’accélérateur à son équipe. Lors de cette édition, les Boks présentent certainement la meilleure équipe de leur histoire et roulent sur la plupart de leurs adversaires. Ils écrasent notamment les Anglais 36-0 en match de poule. Profitant d’une partie de tableau particulièrement clémente en phases finales (Fidji en quart et Argentine en demi finale), ils se qualifient logiquement pour la finale où ils retrouvent des Anglais revanchards. Au terme d’un match beaucoup plus fermé, où aucun essai n’est inscrit et où les défenses prennent largement le pas sur les attaques, les Sud-Africains l’emportent 15 à 6 grâce à la botte de leur arrière Percy Montgomery.
Ce sacre, Bobby Skinstad le vit depuis les tribunes puisque pour ce dernier match le sélectionneur lui a préféré le besogneux Wikus van Heerden pour une place sur le banc. Après le Tri-Nations de 1998 c’est seulement le second titre majeur (il compte également 3 titres en Currie Cup : 1997, 1998 et 2001) de sa courte carrière dont il annonce la fin immédiatement après la fin de la compétition. Il n’a que 31 ans mais a connu de trop nombreuses blessures et souhaite se consacrer désormais à ses activités extra sportives.
Sa carrière laisse un sentiment de regret tant elle paraît inachevée lorsque l’on connaît le talent et le charisme du joueur. Il a été l’archétype du troisième ligne moderne à la fin des années 90, précurseur d’une évolution du poste, déjà initiée depuis longtemps chez les Néo-Zélandais, mais loin de la culture sud-africaine. Il a ouvert la voie à une nouvelle génération d’avants Springboks parmi lesquels Joe Van Niekerk, Pierre Spies ou encore Kwagga Smith. Il a également contribué à populariser le rugby à 7 dans son pays et à travers le monde par ses performances sous le maillot vert des Blitzboks et par son engagement autour de cette discipline. Malheureusement son physique l’a souvent trahi et il n’a eu que très peu l’occasion d’enchaîner des saisons complètes, ne jouant à son meilleur niveau que l’espace de quelques années. Très apprécié de ses coéquipiers et populaire à travers le monde, il a été critiqué toute sa carrière par la presse de son pays pour son faible attrait pour les tâches obscures et pour son manque de rugosité dans son jeu. Inadmissible au pays des Springboks.
Mais au moment où les Sud-Africains sont revenus plus que jamais aux bases de leur rugby, où la moindre prise de risque ou initiative semble proscrite de leur plan de jeu consistant simplement à écraser l’adversaire par leur puissance physique, l’émergence de nouveaux héritiers de Bobby Skinstad serait certainement salutaire pour cette grande nation du rugby.
Credits Bobby Skinstad ©RugbyPass.