8 à 1 : 2 chiffres qui symbolisent 2 périodes éloignées d’à peine 20 ans. 8 comme le nombre de joueurs français composant le onze marseillais vainqueur de la Champions League en 1993 et 1 comme l’unique joueur tricolore (Adrien Rabiot) aligné par le PSG mardi dernier à l’occasion du match retour à Manchester.
Entre ces 2 dates, un litige survenant dans le transfert d’un joueur a complètement changé la donne du football européen. Ce n’est pas un grand nom ni un grand club qui ont contribué à ce chamboulement. Le joueur en question s’appelle Jean-Marc Bosman et le litige en question l’opposait à son club du FC Liège qui refusait son transfert au club de Dunkerque (D2 française à l’époque).
L’histoire de ces 3 protagonistes inattendus bien loin du star system a amené la Cour de Justice de la Cour Européenne à statuer en décembre 1995 que les règlements de l’UEFA alors en vigueur, notamment ceux instaurant des quotas liés à la nationalité, étaient contraires aux traités autorisant la libre circulation des travailleurs entre les États membres de l’Union Européenne.
Autrement formulé, l’arrêt Bosman a mis fin à la limitation du nombre de joueurs de nationalités européennes différentes dans une équipe professionnelle.
Cette jurisprudence a depuis été étendue au-delà de l’Europe et concerne les ressortissants de plus de 100 pays.
Ce qui à l’époque a été salué comme la normalisation du statut du footballeur à celui d’un travailleur pouvant circuler librement au sein de l’Europe, a transformé le visage du football européen jusqu’à en travestir les mœurs et déréguler les équités en établissant un fossé, un gouffre même, entre les clubs de l’élite économique européenne et les autres qui n’ont désormais plus voix au chapitre.
Le football, reflet de l’individualisation de la société
Le grand bénéficiaire de cet arrêt a été indiscutablement le joueur ou plus précisément le joueur de talent qui, profitant de la concurrence désormais libéralisée entre les clubs pour s’attacher ses services, a pu faire monter les enchères et voir ses émoluments afficher une folle inflation.
Ainsi au milieu des années 80 la star de l’époque Diego Maradona gagnait à Naples 100.000€ par mois, alors que le prochain salaire mensuel de son compatriote Lionel Messi s’établira à 3,250 millions d’euros, soit une augmentation de 3200% en 30 ans ! Et encore cela ne s’arrêtera pas là puisqu’on fait état de futures propositions venant de la Chine, nouvel eldorado footballistique, à plus de 70 millions d’euros par an…
Le football, jeu universel par excellence (plus de 200 associations nationales affilées à travers le monde à la FIFA), sport collectif par essence, est devenu le reflet de l’individualisation de la société.
Un jeune joueur fait 3 bons matchs et son club lui fait signer un 1er contrat pro à hauteur de 15.000 à 20.000 euros par mois. Son coach décide de le mettre sur le banc de touche, ce n’est pas grave il boudera un peu et trouvera un nouveau club au prochain marché des transferts et doublera son salaire. C’est un brin caricatural mais pas si éloigné des mœurs en pratique.
Plus de mobilité, moins d’égalité
La libéralisation voulue a indéniablement conduit à l’individualisation mais également en l’hyper concentration des chances de succès en un nombre très limité d’équipes.
L’Etoile Rouge de Belgrade (briseur de rêves olympiens un soir de printemps 1991 à Bari), le Steaua Bucarest et le grand Ajax Amsterdam gagneront-ils un jour une autre CL ? Ça parait d’autant plus utopique que même des géants actuels s’y cassent les dents année après année (Arsenal, PSG, la Juve depuis 20 ans).
La relative égalité des chances a fait long feu, et très rares sont les surprises à l’abord des tours finaux.
Les clubs formateurs ont tout juste la possibilité de voir leurs fleurons arriver à maturité porter quelques matches les couleurs de l’équipe fanion avant d’aller émigrer vers le plus offrant qui préfère miser sur des « produits finis » pour optimiser ses chances de succès ou même priver un de ses concurrents de se renforcer.
Un exemple particulièrement cocasse avait été le recrutement du Milan AC lors de l’intersaison 1997-1998 de 2 des plus prometteurs arrières gauches européens (l’allemand Ziege et le néerlandais Bogarde) alors que le club italien avait déjà dans son effectif Paulo Maldini, le meilleur latéral gauche des années 1990 ! En opérant ces recrutements, Silvio Berlusconi voulait surtout priver les clubs concurrents du renfort de ces 2 joueurs. Stratégie largement perdante puisque l’un et l’autre quitteront rapidement la Lombardie, et le club Milanais traversera une longue période de disette européenne.
Cette stratégie du « sur-armement » gagne d’autres sports tel le rugby (notre Top 14 national peut y être considéré comme l’équivalent de la Premier League anglaise) où la formation a été progressivement délaissée pour faire place au recrutement de stars ou de prétendus joueurs à la valeur ajoutée immédiate. Ainsi Toulon n’a pas moins cette année dans son effectif de 4 demi d’ouvertures de renom (Giteau, Michalak, Taylor et Cooper), ou encore le Stade Toulousain s’est fourvoyé ces dernières années en renforts internationaux coûteux et farfelus (l’australien Burgess, le néo-zélandais Tialata ou encore l’anglais Flood). Il semble heureusement que dans certains clubs un retour à la formation se précise comme au Racing ou encore depuis cette saison à Toulouse.
Arsenal avec 11 joueurs étrangers
Enfin le troisième effet pervers provoqué par cette libéralisation concerne l’appauvrissement des sélections nationales de pays majeurs dans leur sport respectif. L’évolution est ainsi saisissante entre, d’une part, la représentation sans cesse revue à la baisse des joueurs locaux dans la Premier League anglaise (seulement 33% de joueurs anglais la disputant) et dans notre Top 14 (55% de joueurs français pour la saison 2014-2015 contre plus de 80% il y a 10 ans) et d’autre part la trajectoire déclinante des sélections anglaise en football et française en rugby.
On se moque (gentiment) depuis de nombreuses années de la pauvreté des gardiens de but anglais (4 titulaires sur les 20 clubs lors de la dernière journée de PL, soit 20%) comme les étrangers ironisent de plus en plus sur la valeur supposée de nos demis d’ouverture (4 titulaires sur les 14 équipes du Top 14 le week-end dernier, soit 29%).
Alors qu’Arsenal alignait au milieu des années 2000 un onze de départ sans aucun joueur anglais, Montpellier peut à présent aligner, en rugby, une équipe quasiment composée de sud-africains (15 joueurs originaires d’Afrique du Sud dans son effectif !). Et dans le même temps la sélection des Three Lions n’a pas brillé dans les tournois internationaux (éliminée au 1er tour lors de la coupe du monde 2014) tout comme le XV de France lors de la dernière coupe du monde (étrillé par les All Blacks en ¼ de finale).
Bien entendu la victoire de nos Bleus en 1998 peut valider le bénéfice de l’ouverture des frontières à nos meilleurs footballeurs leur permettant de gagner en culture tactique et en expérience, mais n’oublions pas que cette même équipe était déjà ½ finaliste de l’Euro deux ans plus tôt en Angleterre avec 9 joueurs évoluant en France.
En 2014 l’Allemagne a bien été titrée au Brésil avec 9 titulaires évoluant dans la Bundesliga.
Et puis l’exemple français est le contre-exemple nécessaire à toute démonstration !
Des réformes nécessaires pour déréguler un système perverti
Au travers de ces 3 effets observés, il nous apparait nécessaire d’adopter des réformes pour réguler les mœurs et les dérives d’un système perverti par la libéralisation en vigueur.
Ce qui devait en effet profiter socialement au sportif, qu’il soit footballeur ou rugbyman, en facilitant sa mobilité s’est peu à peu retourné contre lui puisque le chômage s’y est développé (300 footballeurs se retrouvent sans contrat en fin de saison, un nombre en hausse annuelle de 10%, il y a 200 à 250 chômeurs au rugby contre 70 il y a 5 ans).
Puisqu’il n’y a pas de gain social rien ne s’oppose alors à une révision de l’arrêt Bosman.
Voici nos 2 propositions :
- Pour le football : 7 + 4 à savoir 7 joueurs nationaux ou bi-nationaux dans le onze de départ. Ce qui permettra de limiter le pillage des jeunes pépites des centres de formation par les ténors européens, renforcera le lien des supporters avec leur équipe et garantira une plus grande équité sportive à l’échelle européenne.
A titre d’exemple sur la confrontation face à City, le PSG aurait-il affiché un moins bon visage en alignant, en plus de Matuidi et Rabiot, Areola, Kurzawa, Coman (formé au PSG) puis projetons-nous Diarra (à la place de Motta) et Ben Arfa (pour Cavani) ?
- Pour le rugby : 10 + 5 à savoir 10 joueurs locaux dans le quinze de départ. Les jeunes joueurs seront ainsi plus rapidement confrontés aux exigences du haut niveau et pourront emmagasiner de l’expérience. Et le XV de France en bénéficiera par ricochet.
Ce sont les propositions du Café des Sports. Et vous qu’en pensez-vous ?
Crédit photos :
Photo OM-Milan AC : AFP / Georges Gobet
Photo Etoile Rouge de Belgrade : Eurosport
Photo France-Nouvelle Zélande 2015 : AFP / G. Bouys