J’avais prévu d’intituler cet article #53 « Arsènal » afin de commenter le départ programmé d’Arsène Wenger après 22 saisons passées à la tête des Gunners. Mais la disparition d’Henri Michel m’a amené à revoir mes plans. L’annonce du décès de l’ancien métronome du FC Nantes et sélectionneur des Bleus a été probablement moins commentée dans les tribunes médiatiques des réseaux sociaux que le futur départ du manager d’Arsenal. Mais elle a été pour moi beaucoup plus marquante, me replongeant dans mes souvenirs d’enfance revisités par un homme de 41 ans maintenant. Et me permettant de corriger des jugements enfantins. Explications.
C’est en lisant les témoignages d’anciens joueurs qui l’avaient côtoyé comme partenaire ou comme entraîneur que je me suis rendu compte que j’avais longtemps porté un regard faussé sur l’ancien guide du FC Nantes et sélectionneur des Bleus.
Je n’ai aucun souvenir d’Henri Michel joueur. J’avais 3 ans quand en 1980 il connut la dernière de ses 58 sélections en équipe de France, et 5 ans quand il disputa son ultime saison avec les Canaris.
Mes premiers souvenirs me ramènent en 1984 lorsque mon père me réveillait en pleine nuit pour suivre le parcours de l’équipe de France Olympique, dirigée par l’ex-Nantais, qui remporta la médaille d’or à Los Angeles, quelques semaines seulement après le sacre européen de la « bande à Platini ».
A la suite du titre olympique, Henri Michel prit justement la succession de Michel Hidalgo, dont il était l’adjoint durant l’Euro 84, pour diriger les Bleus à la coupe du Monde au Mexique deux ans plus tard. Un souvenir magnifique pour tous les amoureux de football.
Le sommet de Guadalajara
Certes pour la dernière compétition de la génération dorée des Platini, Giresse, Bossis, etc. les Bleus furent une nouvelle fois stoppés en demi-finale par les Allemands, mais il y eut quelques jours plus tôt ce fabuleux quart de finale à Guadalajara contre le Brésil. Un match mémorable et un souvenir d’enfant pour toujours. Avec la victoire au bout des tirs aux buts qui venait en partie effacer les fantômes de Séville quatre ans en arrière, et la célébration dans les rues de mon village, les voitures qui klaxonnaient, les drapeaux tricolores qui étaient brandis, et le Café des Sports de Betty, bondé, qui chantait de bonheur. C’était extraordinaire, mon père était heureux et moi j’étais émerveillé.
Le putsch de Nicosie
La suite pour les Bleus d’Henri Michel fut nettement moins glorieuse. Le départ des cadres ne fut pas compensé par l’arrivée programmée d’espoirs prometteurs… mais qui restèrent longtemps d’éternels espoirs. Les Ferreri, Vercruysse, Touré ou Passi ne parvinrent jamais à repasser dans l’habit majestueux de Platini, et peu à peu l’Equipe de France glissa dans la médiocrité. Elle manqua la qualification pour l’Euro 1988 en Allemagne, et surtout concéda un improbable match nul à Chypre l’automne suivant en match de qualification pour la Coupe du Monde 1990.
Déjà fragilisé par les propos d’Eric Cantona, vexé de ne pas être retenu pour un match amical, qui l’avait traité de « sac à merde » Henri Michel fut limogé à la suite de la contre-performance française à Chypre. Victime d’un complot orchestré en coulisses par l’ex-président des Girondins de Bordeaux, le sulfureux Claude Bez.
Je m’étais réjoui à l’époque de cette éviction. Cela m’était insupportable de voir les Bleus, qui avaient tant gagné sous l’ère Platini avec un jeu brillant et offensif, être devenus si ordinaires. Et pour moi, même pas encore adolescent, certainement influencé par les réactions de mon père et commençant à être fan du futur King Cantona, Henri Michel en était l’unique responsable tant il avait fossoyé le bel héritage qui lui avait été légué.
La suite de la carrière d’entraîneur de l’ex-sélectionneur des Bleus ne semblait pas me donner tort entre un échec au PSG et une sortie progressive des radars nationaux. Il connut certes quelques belles réussites à la tête des sélections Marocaines ou Ivoiriennes, mais pas de quoi revenir jouer un rôle majeur dans le football français, ni donc de me faire changer d’avis.
La révélation
Et puis… il y a quelques semaines déjà, j’avais été un peu interloqué en écoutant à la radio Jean-Michel Larqué interrogé sur les joueurs qui l’avaient le plus impressionné lorsqu’il menait les Verts de Saint-Etienne dans les années 70. Lorsqu’il répondit Henri Michel, qui était pour lui l’équivalent de Platini quelques années plus tôt, je me suis dit que j’étais passé à côté de quelque chose. Henri Michel comparé à l’idole de ma jeunesse…
Et puis… sa disparition annoncée lundi et les premières réactions lues ou entendues m’ont conforté dans cette idée que j’avais probablement manqué plusieurs facettes du talent et de la personnalité de cet ancien milieu de terrain, capitaine de son club, des Bleus et devenu ensuite sélectionneur.
Le joueur est décrit comme élégant et brillant par ses anciens partenaires ou adversaires, le capitaine est loué pour sa générosité, son exemplarité mis au service du collectif alors qu’il en était le meilleur élément. Le sélectionneur, que je critiquais, salué pour sa proximité avec les joueurs, la relation de confiance qu’il avait sue établir avec les cadres comme avec les jeunes. Ces sentiments dépassent même nos frontières, les Marocains lui vouant un amour fou et les Ivoiriens le considérant comme « le meilleur sélectionneur de l’histoire des Éléphants ».
Enfin l’homme est unanimement reconnu comme un ami (voire un deuxième père) intègre, fidèle en amitié, réglant ses affaires « à l’ancienne » comme il le disait c’est-à-dire en privé sans prendre les médias à témoin. Jamais il ne pardonna à certains d’avoir suivi Claude Bez dans son putsch de 1988 mais il ne voulut pas utiliser la place publique pour se défendre. Comme jamais il ne révéla que Cantona s’excusa en tête à tête de l’avoir insulté quelques mois plus tôt.
C’était le football d’antan, où les coups pouvaient pleuvoir certes sur le terrain et en dehors, mais sur lequel veillaient des personnalités emblématiques. L’ex-taulier du FC Nantes était clairement de cette trempe-là.
Henri Michel, en s’ouvrant aux médias et en communiquant davantage, aurait certainement retourné en sa faveur une partie de l’opinion footballistique qui lui était opposée et qui avait oublié qu’il avait été le sélectionneur de l’équipe de France peut-être la plus talentueuse de son histoire. Sa disparition m’aura fait changer d’avis trente ans plus tard. Comme une vérité rétablie qui n’efface en rien des merveilleux souvenirs d’enfant. Au contraire même.