Alors qu’ils végètent dans le ventre mou de la Ligue 1, les Girondins de Bordeaux célèbrent cette saison le 25ème anniversaire de leur incroyable épopée européenne qui les avait menés en finale de la coupe UEFA après avoir notamment éliminé le Milan AC. Flash-back sur ce parcours épique en compagnie de Jean-Aurel Chazeau, auteur de « La plus belle épopée des Girondins ».
La soirée de rêve des Girondins
C’est une des merveilleuses histoires que le football français aime se remémorer avec plaisir et nostalgie. L’un des plus grands exploits réalisés dans un pays qui ne compte toujours que deux vainqueurs de Coupes d’Europe, l’Olympique de Marseille en 1993 et le Paris SG en 1996, en plus de 60 ans de compétitions continentales.
Le 19 mars 1996, il y a pile 25 ans, les Girondins de Bordeaux terrassaient le grand Milan AC 3 buts à 0 en quart de finale retour de la Coupe UEFA (devenue la Ligue Europa en 2009) et éliminaient le favori italien (vainqueur de la Ligue des Champions en1994 et finaliste en 1995) grâce à une réalisation de Didier Tholot et un doublé de Christophe Dugarry, servi par son complice Zinedine Zidane. Un match de légende pour une épopée européenne qui s’est étendue sur plus de 10 mois.
De Norrköping à Munich, « la plus belle épopée des Girondins »
Débutée en juillet 1995 via la champêtre Coupe Intertoto face aux Suédois de Norrköping, l’aventure girondine traversa toute l’Europe de Dublin à Prague en demi-finale avant de connaître son épilogue, cruel, en finale face au Bayern Munich. Un véritable marathon qui a donné naissance à l’un des plus beaux chapitres de l’histoire du club bordelais.
Jean-Aurel Chazeau, fondateur de Leero Sport News et supporter inconditionnel des Girondins, consacre un superbe ouvrage à cette épopée. Dans « La plus belle épopée des Girondins », l’auteur revient en détail sur le parcours européen de la bande des Dugarry, Lizarazu, Zidane, Witschge and co, nous replongeant dans l’ambiance de l’époque avec un trésor d’anecdotes savoureuses et émouvantes. La méticulosité de l’auteur l’a même poussé à retrouver la trace d’anciens adversaires européens de Girondins, tels l’ancien numéro 10 milanais Dejan Savicevic, et à recueillir leurs témoignages pour apporter un regard inédit sur la performance des Marines et Blancs.
Le résultat de ces 2 ans de travail (!) est une pépite pour tous les supporters des Girondins de Bordeaux et pour tous les amateurs d’un football romantique, qui vivait alors ses dernières heures avant d’être bousculé et sévèrement rationalisé par l’arrêt Bosman. A dévorer expressément !
Interview de Jean-Aurel Chazeau
Au Café des Sports : Jean-Aurel, vous aviez 7 ans lors de cette mémorable épopée des Girondins de Bordeaux. Pourquoi avez-vous eu l’envie de la partager dans un livre ?
Jean-Aurel Chazeau : Comme vous le rappelez bien, j’étais très jeune lors de cette épopée et ce parcours représente mes premiers souvenirs relatifs au football. Je revois encore émerveillé la tignasse de Didier Tholot. L’un de mes rêves était de rencontrer ce monsieur si particulier, si proche de l’Equipe de France en août 1995 et j’ai finalement fait plus que le réaliser en créant de réels liens avec lui (Didier Tholot est l’auteur de la préface du livre). Je regarde d’ailleurs d’un œil bienveillant ses performances avec le Pau FC aujourd’hui !
Quel travail d’archivage d’articles de presse et de prospection pour retrouver la trace d’anciens adversaires européens des Girondins ! Combien de temps avez-vous passé à la préparation et à la rédaction de ce livre ?
J’ai souhaité construire ce livre pour aussi dévoiler ou rappeler certains moments tout en évitant la diffamation. C’est mon premier ouvrage et j’ai usé des méthodes de l’enseignement secondaire pour construire ce livre. Cela m’a pris presque deux ans pour réunir l’ensemble des archives et autres témoignages !
Interviewer Dejan Savicevic, cela m’a coûté quelques bouteilles de vin !
Parmi les anciens adversaires des Bordelais que vous avez interrogés, il y a le génial numéro 10 du Milan AC Dejan Savicevic. Mais comment fait-on pour accéder à une telle légende ? Vous pouvez nous raconter ?
Pour chaque « invité » ce fut un parcours du combattant car je n’ai pas la puissance de rayonnement de L’Equipe. Ce sont des histoires d’hommes et de confiance dans des zones parfois reculées du monde. Il faut évidemment savoir parler de nombreuses langues et passer par énormément d’intermédiaires. Pour avoir l’occasion d’interviewer Dejan, j’ai dû commencer mon enquête à l’UEFA avant de monter dans le train de l’aventure. Ce que je peux vous dire, c’est que le rencontrer cela m’a coûté au final quelques bouteilles de vin vers les Balkans !
Vous qualifiez cette épopée de « plus belle épopée des Girondins ». Des supporters un peu plus âgés des Marines et Blancs, ont peut-être davantage vibré avec les exploits de la bande à Giresse dans les années 80. Pourquoi le parcours des Dugarry, Lizarazu et Zidane était, selon vous, le plus beau ?
L’histoire des Girondins est l’une des plus riches d’Europe, cependant, je la qualifie de plus belle car elle rivalise avec les grandes batailles Antiques de par sa longueur dans le temps et dans l’espace et puis il y a aussi cette tragédie de perdre face au Bayern aux allures de Goliath tandis que les Bordelais étaient amputés de deux de leurs meilleurs éléments au match aller (Zidane et Dugarry suspendus). Il y a ce côté malheureux propre aux destins français qui fait naître la légende selon moi. Nous sommes le pays de Poulidor, il ne faut pas l’oublier.
Cette épopée, c’est une histoire entre copains avant tout
Quand on vous lit, on réalise que cette saison 1995-96 n’a pas été une année très sereine en coulisses (départ de William Prunier à la trêve, licenciement de l’entraîneur Slavo Muslin, échanges houleux entre le président Afflelou et des joueurs cadres). Comment les joueurs ont-ils réussi à faire abstraction de ces problèmes pour réaliser ce parcours et atteindre la finale de la coupe UEFA ?
De l’aveu de tous, cette épopée c’était une histoire entre copains avant tout. On l’oublie aujourd’hui mais le football est d’abord un sport collectif, une bande de potes avec qui on peut aller défier n’importe quelle montagne. C’est la clé essentielle de la performance dans ce sport selon moi mais pour remporter des titres prestigieux, il faut plus, et le Bayern a montré ce que Bordeaux n’avait pas : une institution organisée qui tire dans le même sens.
Dans votre récit, on devine une tendresse pour cette période antérieure à l’arrêt Bosman, pour cette équipe des Girondins où évoluaient beaucoup de joueurs formés au club. Est-ce que je me trompe ?
Oui et non car comme le dit si bien Didier Tholot à mon égard, je suis aussi très curieux de qui se fait au-delà des frontières hexagonales. Il n’empêche que je regrette que Bordeaux mise moins sur son centre de formation ! Rendez-vous compte, les Girondins sont le seul club professionnel d’envergure de Nouvelle-Aquitaine. Niort et Pau sont encore très jeunes. Il y a donc une entité aquitaine qui faisait rêver les jeunes du coin. Aujourd’hui, quand j’entends certains anciens, formés au club mais originaires d’autres contrées, cela fait mal au cœur, forcément.
On retrouve en effet cette affection particulière que vous éprouvez pour les jeunes issus du centre de formation de l’époque (les Toyes, Castant, Histilloles, Grenet, Anselin). Est-ce la nostalgie d’une époque où les liens entre la formation et l’équipe première étaient plus forts ?
Régis Castant m’a parfaitement résumé ce sentiment qui planait dans l’équipe réserve : le mérite ! Quand vous respectiez le club et que vous étiez performant, vous aviez une chance d’intégrer les pros. Aujourd’hui, on parle de trading où les jeunes pousses sont déjà transférées avant même d’avoir foulé un terrain professionnel. Le football et les Girondins perdent peu à peu leur charme d’antan et c’est vraiment dommage.
J’ai encore des frissons lorsque je repense à ma rencontre avec Anthony Bancarel et Didier Tholot notamment
Vous insistez également beaucoup dans votre écrit sur « la même passion partagée par ce groupe de joueurs ». A travers vos rencontres avec les héros de cette épopée, avez-vous senti une flamme toujours présente en eux 25 ans plus tard ?
J’en ai rencontré certains, d’autres n’ont pas souhaité répondre à mes questions et c’est dommage. Mais il y a forcément un lien fort qui les unit à jamais. J’ai encore des frissons lorsque je repense à ma rencontre avec Anthony Bancarel et Didier Tholot notamment. Je ne suis que transcripteur de cette saison 1995-1996 et je pleure encore lorsque je revois cette finale retour où tout s’écroule sans rien épargner. Du haut de la pyramide vers le bas, tout vacille. Si j’ai ressenti cela, imaginez ce que ressentent encore aujourd’hui ceux qui ont bâti cette Légende…
Quel est votre coup de cœur de cette épopée ? Un joueur, un match en particulier ?
Oui, j’ai une attache très particulière avec Richard Witschge. J’ai adoré ce bonhomme qui est selon moi l’un des joueurs les plus sous-cotés des années 90. Un artiste comme on n’en fait plus. Un joueur superbe formé à l’Ajax qui avait ses démons mais qui savait aussi vous envoyer aux anges. Michel Benguigui (alors directeur sportif) avait su le remettre dans le sens de la marche pour le plus grand bien du peuple bordelais.
A travers le récit de l’épopée de Girondins, y a-t-il un message subliminal que vous avez souhaité passer à vos lecteurs ?
Il y en a tellement. C’est effectivement un livre qu’il faut savoir lire entre les lignes. Pour cela, il faut l’ouvrir encore et encore.
Le football est en train de perdre ce qui le rendait si beau : son côté populaire.
En tant que suiveur des Girondins, vous devez forcément être déçus par les résultats sportifs des dernières saisons. Comment les expliquez-vous ? Qu’est ce que le club doit changer pour sortir de cette mauvaise passe ?
Il y a beaucoup de choses qui, selon moi, font que le club est réellement à la dérive. Il y a ce qu’il se passe au club et les multiples intérêts qui gravitent autour. Ecrire un livre permet de prendre du recul et c’est un exercice que je vais d’ailleurs reproduire. Il permet aussi de rendre plus calme le brouhaha constant autour de l’entité car cela en devient très usant.
Le football est en train de perdre ce qui le rendait si beau : son côté populaire. L’argent et l’individualisme serpentent les arcades de ce sport magnifique et en sont le cancer. Je ne vais pas pointer les problèmes et les incohérences de ces dernières années une à une. Mais selon moi, il est presque frauduleux de réussir à mener un si joli navire dans telles eaux troubles. Pour moi, les Girondins de Bordeaux, c’est devenu le combat de Don Quichotte contre les moulins à vent. Je n’ai pas de meilleure image.
Après le succès de ce premier livre, en préparez-vous un nouveau ? Toujours en lien avec Bordeaux ?
Ecrire un premier livre c’est déjà se prouver à soi-même qu’on peut aller au bout de quelque chose. Se faire plaisir en rencontrant ses propres légendes. C’est là, le succès. Maintenant que j’ai réussi à faire le chemin une fois, je prépare quelques ouvrages pour les années à venir, à mon rythme, sans pression aucune mais avec toujours beaucoup de minutie.
Pour finir, la question que vous auriez adoré que je vous pose, mais que je ne vous ai pas posée ?
Que s’est-il réellement passé à l’Hôtel Casino de Skopje en 1995 ? … 🙂
Photo Une Bordeaux-Milan 19 mars 1996 ©L’Equipe