A l’heure où Thomas Pesquet s’est envolé pour les étoiles, le mirage d’un certain football est lui retombé sur terre, de manière brutale et salutaire. Face à la menace de la Super Ligue et après des années de folie budgétaire et de globalisation galopante, les fans du ballon rond se sont rebellés, las de voir leur sport favori perdre son âme joueuse et populaire.
Un libéralisme à outrance depuis 20 ans
Depuis plus de vingt ans, le football a surfé sur deux vagues libérales : la libre circulation des joueurs européens autorisée en 1995 et l’émergence de nouveaux marchés mondiaux, véritables eldorados pour accroître la notoriété des clubs et leurs revenus.
Le premier élément a progressivement donné naissance à un système où les joueurs sont devenus des valeurs marchandes et où les moyens financiers ont anéanti l’équité sportive. Le deuxième a permis aux clubs les plus huppés de devenir des marques mondiales, dépassant les centaines de millions de fans à travers les continents au point de délaisser leurs bases locales. L’association des deux, combinée à une hausse vertigineuse des droits TV, a permis l’émergence de véritables business models à même d’attirer des fortunes mondiales ou des fonds d’investissement en quête de nouvelle source de diversification de leurs capitaux.
Et c’est dans cette mouvance que la plupart des grands clubs européens sont devenus la propriété de multimillionnaires ou de milliardaires internationaux, qui ont sauté sur les opportunités de s’acheter un grand nom pour satisfaire leurs égos jamais rassasiés. Les leaders de la Premier League anglaise, le championnat le plus diffusé à travers le monde, sont ainsi tous passés sous pavillon étranger : Manchester United, Liverpool et Arsenal sont l’appartenance de familles américaines fortunées, Chelsea est détenu par le Russe Roman Abramovich tandis que Manchester City est contrôlé par les Emirats Arabes Unis.
Le football est devenu une économie de marché avec la recherche continue de l’optimisation des revenus et des profits : les joueurs constituent les actifs et doivent être rentables alors que les supporters deviennent des consommateurs dont il faut développer le panier moyen dépensé dans le stade ou dans les boutiques.
La rébellion des fans locaux
Malgré les protestations des fans devant l’augmentation des prix des billets, la transformation de leurs stades en destinations touristiques ou encore la proximité rompue avec des directions de clubs cupides, cette vision du « football as a business » s’ancra de plus en plus au sein des championnats européens, s’éloignant inexorablement de la dimension jadis ouvrière et populaire du football.
Les séismes provoqués la semaine passée par l’annonce de la création, auto-dissolue après 48 heures, de la Super Ligue et du départ brutal du fonds d’investissement américain King Street des Girondins de Bordeaux ont démontré l’écart abyssal entre les desseins expansionnistes et mercantiles des propriétaires et l’amour viscéral d’une base populaire et locale pour son équipe de cœur et pour ce sport qui les fait vibrer depuis des générations.
La Super Ligue, victime des fans anglais
Lancés en début de semaine passée en Angleterre, berceau du football, les mouvements de contestation des supporters « locaux » ont eu pour principales cibles ces présidents omnipotents qui ont cru pouvoir devenir les maîtres du jeu, mais ils ont également constitué un formidable rappel aux valeurs de respect, d’éthique et de mérite que doit relayer le sport le plus populaire dans le monde. Non l’incertitude du résultat d’une rencontre ne peut être contournée via le recours à une ligue fermée. Non la récurrence d’affrontements entre les meilleures équipes européennes ne remplacera pas l’âpreté des joutes domestiques, la joie des derbys et les rêves d’exploits face aux cadors.
Face à cette agitation populaire, les 6 clubs anglais engagés dans le processus de création de la Super Ligue ont les premiers décidé de faire volte-face, entraînant de facto le retrait du projet.
Bordeaux, chronique d’un désastre annoncé
A Bordeaux, club historique du championnat de France, sacré à 5 reprises ces 40 dernières années, il y a longtemps que les supporters se sont mobilisés face à la stratégie déroutante du fonds d’investissement américain, désireux de faire de Bordeaux une vitrine pour des jeunes talents bankables et une marque mondiale à l’instar des autres géants européens. Malheureusement leur appel a été vain. La semaine passée, via un communiqué de presse lapidaire, King Street a en effet décidé de se retirer lâchement à 5 journées de la fin de la saison, laissant une ardoise de près de 70M€ (!). Les Girondins se retrouvent au bord du dépôt de bilan, chronique d’un désastre annoncé, dénoncé mais pas entendu.
Renouer avec un football de proximité
Face à cette mondialisation galopante, il est aujourd’hui temps de faire bouger les lignes, de renouer avec les racines du football et de rétablir la proximité et les valeurs collectives qui ont fait la culture et l’histoire des clubs. Une solution est de rapprocher les amoureux d’un club qu’ils soient dirigeants concernés, anciens joueurs, supporters, entrepreneurs locaux, autant de forces vives prêtes à partager une vision plus réaliste, plus territoriale, probablement moins dépensière mais pas dépourvue d’affection, d’envie et d’énergie.
Les exemples de Montpellier, détenu par la famille Nicollin, et de Strasbourg, présidé par l’ancien joueur alsacien Marc Keller, illustrent la réussite de modèles locaux auxquels de nouvelles idées pourraient être associées comme celle de favoriser l’entrée des supporters au capital des clubs, afin qu’ils aient une voix qui compte pour participer aux décisions futures et éviter de nouvelles dérives.
Ce sont des pistes à explorer pour que plus jamais le spectre d’une super ligue ou le retrait immoral d’un investisseur ne viennent faire trembler une planète football en quête de sens et de moralité.
Credits mobilisation fans Chelsea ©Getty Images