Disparu jeudi à l’âge de 87 ans, l’ancien sélectionneur Michel Hidalgo a écrit l’un des plus beaux chapitres de l’histoire des Bleus, symbolisés par des rencontres inoubliables, une audace et une bienveillance qui auront marqué toute une génération. Hommage.
Du cauchemar de Séville au triomphe Européen
Dans une actualité sportive figée, comme tout le pays et quasiment toute la planète, par l’invisible menace virale, l’annonce du décès de Michel Hidalgo jeudi à l’âge de 87 ans, a créé une soudaine vague d’émotions teintées de nostalgie. Pour la génération née entre de Gaulle et Mitterrand, Hidalgo était le sélectionneur des Bleus de notre enfance. Cette bande qui, emmenée par le leader Platini et animée par une folle audace offensive, nous a bercés pendant tant de soirées et d’épopées mémorables.
Comme à tous, les souvenirs sont alors remontés à la pelle. Les miens débutent avec l’anecdote souvent contée par mon père de mon premier match regardé à la télévision, à l’orée des mes 5 ans, un France-Italie (2-0, buts de Platini et de Bravo) disputé en février 1982, qui marquait la première victoire tricolore sur les Transalpins depuis 62 ans, que j’avais commencé sur les genoux paternels et certainement terminé les yeux clos, rêvant à la suite des aventures de mes futurs héros.
Hanté par Téléfoot
Les rêves se sont alors transformés en cauchemar de cette incroyable soirée sévillane où nos petits Bleus, brillants et hardis mais un brin naïfs, n’avaient pas réussi, malgré une avance de 2 buts à moins de 20 minutes du terme, à mettre à mort l’ogre allemand, requinqué par l’entrée du terrible duo Rummenigge-Hrubesch et épargné par l’arbitrage permissif du Néerlandais M. Corver oubliant de sanctionner l’attentat de Schumacher sur l’infortuné Battiston. Longtemps le générique de Téléfoot reprenant la joie d’Alain Giresse après son extérieur du pied pour un avantage que l’on croyait définitif m’a hanté…
Guéri à Marseille
Puis cette équipe de France a mûri et a elle-même renversé des situations bien compromises. Comme cette demi-finale de l’Euro 1984, un samedi soir de début d’été dans l’incandescent Stade Vélodrome de Marseille. Un match que l’on pensait avoir plié avant la mi-temps et que l’on crut longtemps nous échapper, victime d’un avant-centre portugais dénommé Jordao. Et cette fois-ci, les dernières minutes tournèrent à l’avantage des Français avec l’égalisation du Toulousain Domergue, auteur d’un inattendu doublé, et le but victorieux du capitaine Platini après une incroyable chevauchée du marathonien Tigana.
Totalement guéris de leurs maux espagnols, les Bleus pouvaient 4 jours plus tard s’offrir un sacre européen mérité et gagner le premier titre de leur histoire en dominant… l’Espagne au Parc (2-0).
Cette génération dorée finit son aventure au Mexique en 1986, dirigée par Henri Michel qui avait pris le relais d’un Michel Hidalgo fidèle à sa promesse de laisser sa place à son adjoint à l’issue de l’Euro. Elle fut à nouveau privée d’une finale mondiale par le voisin germanique, tellement éreintée après un quart de finale de folie remporté à l’issue des tirs au but par nos « Brésiliens d’Europe » aux dépens des authentiques Brésiliens.
Beau jeu et carré magique
Passés ces magnifiques souvenirs, ces éternelles émotions, Michel Hidalgo restera dans l’histoire du football tricolore le sélectionneur qui aura permis à la France d’exister enfin puis de briller sur une scène footballistique à laquelle elle ne fut longtemps pas conviée. Lorsqu’il succède début 1976 au Roumain Stefan Kovacs à la tête de la sélection, les Bleus sont à l’arrêt. La troisième place mondiale obtenue en 1958 en Suède par la bande à Kopa semble bien loin. Disparus des radars depuis 1966, les Bleus sont englués dans la médiocrité malgré les premiers exploits des Verts de Saint-Etienne dans les Coupes Européennes.
L’indissociable duo Hidalgo-Platini
Le novice Hidalgo va alors progressivement remonter le navire bleu à la surface en rajeunissant les troupes, faisant débuter dès son entrée en fonction les Platini, Bossis et Six qui allaient le suivre pendant tout son mandat et donnant rapidement le gouvernail au meneur de jeu de l’AS Nancy, son élément le plus brillant, son phare dès que la mer s’agitait. L’attelage Hidalgo-Platini, associé au président Fernand Sastre et à une DTN innovante qui créa les premiers centres de formation dans les années 70, socle des futurs titres français pendant des décennies, a mené la France vers les sommets mondiaux en empruntant des chemins de crête assez vertigineux.
Le France-Bulgarie à quitte ou double (3-1) de novembre 1977 permit aux Bleus de retrouver la scène mondiale en Argentine un an plus tard. Les décisifs France-Belgique (3-2) et France-Pays Bas (2-0) de 1981 leur ouvrirent ensuite laborieusement les portes du Mondial Espagnol pour vivre la si grande aventure que l’on connaît.
Formidable audace tactique
Platini en fut le leader et Hidalgo le commandant en chef, tranchant par ses choix résolument offensifs, n’hésitant pas à aller défier Belges et Hollandais avec un milieu de terrain composé de trois numéros 10 pour soutenir le trident d’attaque Rocheteau-Lacombe-Six !
Ce fut clairement la marque de fabrique de ses années bleues : une pensée tactique audacieuse permettant à ses éléments les plus talentueux de s’épanouir librement tout en œuvrant pour le collectif. Ainsi naquit progressivement le fameux carré magique, cette association de 4 joueurs techniques qui allaient donner libre cours à leur virtuosité et régner sur l’entrejeu mondial. Initialement, ce fut le Bordelais Jean Tigana qui rejoignit le trio Giresse-Platini-Genghini, puis après le Mondial 82 Genghini céda progressivement sa place au Parisien Luis Fernandez.
L’oeuvre de Michel Hidalgo connut son apothéose en 1984 avec la victoire dans l’Euro sur lequel Platini plana avec 9 buts inscrits en 5 matchs, et qui vit un des plus beaux matches de l’histoire de l’Equipe de France avec un écrasant succès contre la Belgique (5-0) dans le tout jeune Stade de la Beaujoire.
Bienveillant et humaniste
A l’issue de l’Euro, le paternaliste Hidalgo se retira pour laisser son jeune adjoint Henri Michel poursuivre l’aventure mexicaine deux ans plus tard. L’ancien joueur du Stade de Reims, buteur lors de la première finale de la Coupe des Champions face au Grand Real Madrid, avoua avec le temps regretter de ne pas avoir accompagné ses troupes pour le dernier défi de leurs glorieuses carrières. Il finit la sienne en dirigeant de plus en plus discret du nouvel Olympique de Marseille de 1986 à 1991 auprès de l’omniprésent Bernard Tapie dans un système où sa chère bienveillance ne devait pas être la vertu la plus établie.
Son départ en catimini du paysage footballistique n’effaça en rien des nos têtes ces moments magiques résumant l’amour qu’il avait donné à ses joueurs et la reconnaissance que ceux-lui portaient en retour. A l’instar de cette rare colère lors d’un incroyable France-Koweit où il défendit ses troupes en désapprouvant avec virulence l’intervention sur le terrain du cheikh Fahd qui fit annuler un but de Giresse, et de ce sacre européen terminal qu’il finit porté en triomphe par ses protégés le remerciant éternellement. Comme un dernier hommage à ce père bâtisseur qui conclut son oeuvre en hissant la maison France sur le toit de l’Europe.
Avec le décès de Michel Hidalgo, nous clôturons un des plus beaux chapitres de notre jeunesse romantique que ces Bleus, beaux et téméraires, ont intensément animé avec un si grand Monsieur à leur tête. Merci.