Pour ce nouveau portrait, nous vous proposons de retracer la carrière de Sonny Bill Williams, le colosse néo-zélandais à la gestuelle élégante et aux charges dévastatrices. Le destin unique de celui qui n’aura jamais su se fixer dans une équipe, ni même dans une discipline, et qui n’aura jamais fait l’unanimité malgré un talent et un palmarès gigantesque.
Une star du rugby à XIII australien sur les terrains du Top 14
06 août 2008. Le RC Toulon de Mourad Boudjellal s’apprête à retrouver le Top 14 après avoir bousculé le paysage du rugby français en Pro D2 durant 2 saisons. La raison ? Une politique de recrutement XXL qui voit de (très) grands noms comme Tana Umaga, Anton Oliver ou encore George Gregan (3 anciens capitaines All Blacks ou Wallabies) porter le maillot au muguet. Le volubile Boudjellal est également omniprésent dans les médias, ne se privant jamais d’égratigner le rugby français qu’il juge sclérosé et vieillissant. Durant la préparation estivale, une nouvelle très grosse annonce secoue le club toulonnais : Sonny Bill Williams, star du rugby à XIII évoluant dans la prestigieuse National Rugby League australienne (aux Caterbury Bulldogs), aurait rejoint le club. Une vidéo de ses premiers pas au centre d’entraînement de Berg est diffusée et déclenche une énorme polémique. Si le joueur est relativement inconnu du grand public en France, où le rugby à XIII est peu représenté, ce transfert fait beaucoup parler dans l’autre hémisphère. La jeune star de son équipe quitte le navire avant la fin de la saison, alors que son contrat court encore sur 18 mois, et que les montants de rémunération annoncés sont colossaux.
Ce transfert ternit l’image du joueur dans l’hémisphère Sud (Néo-zélandais d’origine samoane il évolue en Australie depuis ses débuts professionnels), les dirigeants des Bulldogs n’hésitant pas à citer Sonny Bill Williams comme le « plus grand traître de l’histoire de ce sport ». Comme il le fera souvent au cours de sa carrière, le joueur assume son statut et la pression qui l’accompagne et répond rapidement sur le terrain. Pour le match inaugural de cette saison de Top 14, le RCT fait face à l’ASM Clermont Auvergne – finaliste de la précédente édition et favori de la compétition – dans un match sous haute tension. Williams rentre en jeu à la 39ème minute et aussitôt après se retrouve à la réception d’une chandelle de Marc Andreu sur une action anodine, suite à un cafouillage, le géant toulonnais file seul inscrire le premier essai du nouveau Toulon en Top 14. Le RCT remporte le match et Mourad Boudjellal est en passe de gagner un nouveau pari.
Sonny Bill Williams n’est clairement pas un joueur qui laisse indifférent. Le sulfureux Néo-zélandais ne passe pas inaperçu avec sa belle gueule, ses nombreux tatouages et son physique de déménageur sous stéroïdes (1m91 pour 108kg). Mais « SBW » c’est surtout une élégance et une gestuelle qui ont marqué le rugby à XIII comme à XV, illuminant les terrains de ses passes après contact légendaires devenues sa marque de fabrique. Le joueur fait ses débuts en NRL en 2004, à 18 ans seulement et est aussitôt sélectionné avec l’équipe nationale Néo-Zélandaise de rugby à XIII, devenant le plus jeune joueur retenu à ce niveau. Il est également le plus jeune joueur à remporter la NRL dès sa première saison, suite à la victoire de son équipe 16 à 13 face aux Sydney Roosters. Il enchaîne par la suite les matchs mais sa carrière est (déjà) interrompue par de nombreuses blessures. Il devient néanmoins une pièce importante de son équipe et dispute au total 73 matchs avec les Bulldogs en inscrivant 31 essais. En 2007 il signe une prolongation de contrat jusqu’en 2012 pour un montant record de 2,5M$, devenant l’un des joueurs les mieux payé de la ligue et mettant provisoirement fin aux spéculations sur son avenir… avant que son agent ne rencontre un certain Mourad Boudjellal.
Du RC Toulon aux All Blacks
09 septembre 2011. Pour l’ouverture de la Coupe du Monde 2011 organisée sur leur sol, les All Blacks ouvrent le bal par un match face à leurs voisins Tongiens à l’Eden Park d’Auckland. Un match à la saveur particulière quand on connaît l’importante communauté issue des îles du Pacifique vivant en Nouvelle-Zélande ainsi que les nombreux joueurs d’origine tongienne ayant porté le maillot noir.
Pour ce match d’ouverture, Graham Henry aligne au centre de son attaque Sonny Bill Williams et Ma’a Nonu. Deux monstres physiques originaires du Pacifique qui se feront un plaisir de martyriser la défense tongienne. SBW se montre à l’aise sous le maillot de la meilleure équipe de rugby du monde et, s’il ne marque aucun des 6 essais de son équipe, il est impliqué sur de nombreuses actions décisives. Il ouvre son compteur quelques jours plus tard avec un doublé lors de la correction infligée au Japon (83-7 pour les All Blacks) avant de récidiver le 24 septembre avec une nouvelle réalisation face à des Français impuissants (victoire 37-17) puis de nouveau face au Canada pour une ultime balade (79-15).
Les Néo-Zélandais assument leur statut de favoris de leur mondial et se hissent en finale malgré la blessure de leur maître à jouer Dan Carter. Ils y retrouvent des Bleus inattendus et revanchards après leurs piètres prestations en poules pour un choc qui apparaît des plus déséquilibré sur le papier. Sonny Bill Williams ne dispute que 5 petites minutes de ce match (à l’aile) qui verra les All Blacks d’un Richie McCaw plein de vice s’imposer d’un petit point seulement face à des Français héroïques qui méritaient mieux. Trois ans seulement après son transfert polémique au RCT, Sonny Bill Williams est champion du monde.
Avant de réussir à convaincre Graham Henry d’en faire un membre à part entière de son équipe (il est préféré à des joueurs comme Mils Muliana ou Joe Rococoko), l’ancien treiziste a profité de son passage au RC Toulon pour améliorer sa maitrise du jeu à XV. Après une première saison mitigée en raison de pépins physiques (13 matchs disputés pour 2 essais inscrits), il monte en puissance au cours de l’exercice suivant. Au sein d’un RCT de plus en plus galactique il devient une pièce essentielle du système de jeu de Philippe Saint-André, dispute 18 matchs (pour 4 essais) et voit son équipe échouer en demi-finale du Top 14 face à Clermont, futur champion (après des prolongations épiques). Le club de Mourad Boudjellal chute aussi en finale du Challenge Européen face au Biarritz Olympique dans un match fermé, verrouillé par la botte de Dimitri Yachvili. Le joueur semble parfaitement épanoui dans son équipe mais son objectif principal reste de joueur pour les All Blacks et il fait donc rapidement ses valises pour rentrer en Nouvelle Zélande. Il rejoint l’équipe de Canterbury pour le NPC 2010 avec qui il remporte la compétition. Il est logiquement sélectionné par la province des Canterbury Crusaders pour disputer le Super Rugby 2011 aux côtés notamment de Richie McCaw, Daniel Carter ou Israel Dagg, échouant de quelques points seulement en finale face aux Queensland Reds. Ses performances lui ouvrent alors la porte de la sélection All Black, bien que certains observateurs lui reprochent encore de n’être qu’un joueur « highlights Youtube » spectaculaire et décisif sur quelques actions mais trop souvent blessé et irrégulier dans son jeu.
En 2012, au lendemain du titre en Coupe du Monde, il quitte les Crusaders pour les Chiefs de Waikato et signe ce qui restera sans doute comme sa meilleure saison à XV, permettant à l’équipe basée à Hamilton de remporter la compétition pour la première fois de son histoire. Associé au centre à son partenaire chez les All Blacks Richard Kahui, il signe des performances majuscules jusqu’en finale où les Néo-Zélandais écrasent les Sud-Africains des Sharks 37-6. Il termine la saison avec le plus grand nombre de passes après contact de la compétition, le plus grand nombre de placages cassés, le plus grand nombre de franchissements et 5 essais inscrits dont 1 en finale. Il est également logiquement élu joueur de l’année par les supporters des Chiefs. Enfin libéré des blessures, il donne la pleine mesure de son immense potentiel et fait taire les derniers sceptiques.
Un athlète pluridisciplinaire
8 février 2013. C’est cette fois-ci sur un autre terrain, en l’occurrence le ring de boxe de l’Entertainment Centre à Brisbane en Australie, que Sonny Bill Williams s’apprête à s’illustrer. Pour son quatrième combat de boxe professionnel, il affronte le Sud-Africain François Botha, combattant expérimenté de 44 ans ayant fait face aux meilleurs (Mike Tyson, Wladimir Klitschko, Lennox Lewis ou encore Evander Holyfield) mais qui parait sur le déclin et loin de sa meilleure condition physique. Comme souvent avec SBW, cet événement fera l’objet d’importantes polémiques. La raison : le combat, annoncé en 12 rounds s’achève finalement en seulement 10 rounds et Williams est déclaré vainqueur alors que Botha semblait prendre l’avantage. Peu importe, le rugbyman se voit attribuer la ceinture WBA des poids lourds et continue de s’imposer partout où il passe. Le joueur alterne ainsi pendant toute sa carrière les matchs de rugby et les combats de boxe (7 combats entre 2009 et 2015 pour autant de victoires) ce qui, selon les dires de l’intéressé, aurait fait de lui un meilleur sportif et un meilleur joueur de rugby.
Quelques semaines plus tard, Sonny Bill Williams fait son retour en Australie, en NRL, sous le maillot des Sydney Roosters, rival historique de sa précédente équipe. Ce retour à XIII entraîne inévitablement de nouvelles vives tensions autour du joueur après son départ en France et le nouveau statut qu’il a acquis avec les All Blacks. Accusé de se vendre au plus offrant, sans décider de sa préférence entre les deux sports, SBW est particulièrement attendu sur les terrains australiens. Il répond en inscrivant un doublé face à des Bulldogs qui lui promettaient l’enfer pour une victoire cinglante de sa nouvelle équipe 38 à 0. Les Roosters terminent en tête de la saison régulière avant de s’imposer 26-18 face aux Manly-Warringah Sea Eagles pour s’adjuger le 13ème titre de leur histoire. Sonny Bill Williams dispute 24 des 26 rencontres de son équipe, inscrit 8 essais et est nommé meilleur joueur de son équipe et de la ligue, sans avoir joué à XIII depuis 5 ans. Dans la foulée il est de nouveau sélectionné par l’équipe nationale de rugby à XIII Néo-zélandaise et ambitionne de devenir le 1er joueur à être champion du monde dans les deux disciplines. Il échoue finalement en finale face aux Kangourous australiens sur le score sévère de 34 à 2 après avoir éliminé les Anglais en demi-finale.
Après une nouvelle saison en NRL au cours de laquelle il réalise de nouveau de très belles performances – malgré une suspension de plusieurs semaines pour une charge dangereuse à l’épaule – SBW annonce son retour à XV afin de disputer la Coupe du Monde 2015 avec les All Blacks. Il exige cependant que son nouveau contrat avec la fédération néo-zélandaise lui permette d’intégrer l’équipe nationale de rugby à 7 pour disputer les Jeux Olympiques 2016 à Rio. Il déclare alors « En remontant le temps, tous les meilleurs sportifs ont toujours été des olympiens. Usain Bolt, Muhammad Ali et ainsi de suite. C’est juste une opportunité fantastique de devenir l’un d’entre eux ».
Membre de la meilleure équipe de l’histoire
31 octobre 2015. Finale de la Coupe du Monde à Twickenham. Devant les 80 000 spectateurs du « Temple du rugby », les All Blacks ont l’occasion de réaliser un doublé inédit après leur titre de 2011. Comme lors de la précédente édition, Sonny Bill Williams doit se contenter d’une place de remplaçant derrière les inamovibles Ma’a Nonu et Conrad Smith. Il rentre néanmoins dès la 40ème minute et se montre décisif 2 minutes plus tard sur l’un de ses premiers ballons : bien lancé, il attaque la ligne, passe les bras dans son style caractéristique et libère un boulevard pour Ma’a Nonu qui traverse le terrain pour inscrire un essai décisif. Les Néo-Zélandais créent alors un écart dont leurs rivaux australiens ne se remettront pas et conservent leur titre avec une victoire nette 34-17. Après la fin de la rencontre, un jeune garçon de 7 ans fait irruption sur le terrain et se précipite vers Sonny Bill Williams avant d’être sévèrement plaqué par les stadiers. Le joueur intervient et lui offre sa médaille d’or de vainqueur, geste qui sera largement médiatisé et salué, et qui permettra au joueur de voir son image adoucie après toutes les controverses dont il a fait l’objet.
Après la Coupe du Monde et les retraites internationales de Smith et Nonu, SBW est enfin considéré comme un titulaire à part entière chez les All Blacks. Malheureusement, une grave blessure au talon d’Achille brise ses ambitions en même temps que ses rêves de médaille d’or aux JO. Il demeure pourtant un membre important de ce qui est certainement l’une des meilleures équipes de l’histoire. En 2017, il est de retour à son meilleur niveau pour accueillir les Lions britanniques et Irlandais pour une série mythique de 3 matchs, suivie dans le monde entier. Il est titulaire pour le 1er match, maîtrisé et remporté par les All Blacks 30 à 15. Pour la revanche, Sonny Bill Williams s’illustre de la pire des manières : coupable d’un violent placage à l’épaule sur Anthony Watson, il est exclu du match dès la 25ème minute et voit son équipe s’incliner en infériorité numérique. Il est seulement le 3ème joueur All Black de l’histoire à recevoir un carton rouge et le 1er depuis Colin Meads en 1967. Les deux équipes ne parviennent finalement pas à se départager lors de la troisième manche (15-15) et la série s’achève donc sans vainqueur.
Après cet épisode, Sonny Bill Williams signe aux Auckland Blues en Super Rugby au sein d’une équipe ambitieuse mais qui peine à enchaîner les résultats. Il est très régulièrement blessé mais garde la confiance de Steve Hansen, le coach des All Blacks qui voit en lui un titulaire pour la Coupe du Monde 2019. Il ambitionne ainsi d’être le 1er joueur à remporter 3 fois la coupe Webb Ellis, exploit que peuvent également réaliser ses coéquipiers Kieran Read et Sam Whitelock. Il perd néanmoins sa place de titulaire au profit d’Anton Lienert Brown et de Jack Goodhue au cours de la compétition. Les All Blacks sont éliminés par l’Angleterre en demie finale dans un match où la paire de centre néo-zélandaise se montre particulièrement empruntée face au surpuissant Manu Tuilagi. Médaillé de bronze, Sonny Bill Williams prend sa retraite internationale après une ultime victoire 40-17 face au Pays de Galles lors de la petite finale. Il raccrochera définitivement les crampons après quelques derniers tours de piste à XIII à Toronto et avec les Sydney Roosters pour devenir consultant TV et se consacrer également à la boxe. Steve Hansen, entraineur des All Blacks entre 2012 et 2019 dira alors de lui qu’il est le meilleur joueur avec lequel il a eu l’occasion de travailler, une force de la nature et un monstre physique et technique.
Un héritage technique et médiatique
26 février 2022. Les Blues d’Auckland jouent leur premier match dans cette édition 2022 du Super Rugby, dont ils sont les favoris, face aux Hurricanes de Wellington. Pour cette nouvelle saison, les Blues s’avancent avec un effectif pléthorique comprenant de nombreux All Blacks : Beauden Barrett, Dalton Papalii, Rieko et Akira Ioane et bien d’autres. Parmi toutes ces stars, un joueur attire particulièrement l’attention des observateurs. Ce joueur c’est Roger Tuivasa-Sheck, ancienne star du rugby à XIII ayant disputé 194 matchs en NRL pour près de 60 essais sous le maillot des Sydney Roosters et des New Zealand Warriors. Également d’origine samoane, aligné au poste de 1er centre, « RTS » est déjà vu comme le nouveau « SBW » par nombre d’analystes qui lui prédisent un avenir avec les All Blacks. Les deux hommes étaient d’ailleurs associés en 2013 chez les Roosters et avec la Nouvelle-Zélande pour la Coupe du Monde à XIII la même année.
Le défi est de taille pour Tuivasa-Sheck, car la carrière et le palmarès de son prédécesseur sont immenses. Rares sont les joueurs qui se sont montrés aussi versatiles que l’ancien Toulonnais tout en réussissant à s’imposer partout, dans tous les systèmes. Rarement titulaire à XV avec les All Blacks, il cumule tout de même 58 sélections (pour 52 victoires !) et a été sacré 2 fois champion du monde. Son style de jeu venu du XIII a rapidement fait de lui un phénomène, souvent copié et rarement égalé, et l’on parle encore aujourd’hui de passes « à la Sonny Bill Williams » lorsque l’on voit des offloads spectaculaires. C’est également la réussite la plus éclatante concernant les transfuges du XIII vers le XV (avec Jason Robinson et Israel Folau), parmi de nombreux échecs.
Médiatiquement aussi, le joueur aura toujours fasciné les spectateurs comme les journalistes. Sulfureux à ses débuts et souvent traité de mercenaire, il n’a jamais craint de créer la polémique par ses choix de carrière – et de vie – inattendus mais a toujours su répondre aux critiques sur le terrain. Une attitude qui l’aura empêché de faire l’unanimité auprès des spécialistes comme du grand public tout en acquérant le soutien indéfectible des fans. Sa vie personnelle fut également mouvementée, surtout à ses débuts, avant qu’il ne se convertisse à l’Islam ce qui lui vaudra là aussi de nombreuses réprimandes voire même des menaces. Quoi qu’il en soit, il fut durant des années le visage des All Blacks dans les multiples communications d’Adidas alors même que sa place n’était pas toujours assurée dans l’équipe titulaire. Il aura été sélectionné à chaque fois qu’il aura été disponible, revenant toujours à son meilleur niveau après ses nombreuses blessures, autant pour ses qualités de rugbyman que pour son attitude exemplaire dans le vestiaire et auprès des médias.
Une chose est sûre, Sonny Bill Williams n’aura jamais douté de lui-même et ne se sera jamais fixé de limites, passant à travers les polémiques comme à travers les défenses pour construire ce qui reste comme l’une des plus belles carrières à XIII et à XV.
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