Des débuts fracassants après le rendez-vous manqué de 1999
Pour Stirling Mortlock, cette performance est un soulagement après la déception qu’il a connue un an plus tôt. Ayant démarré avec les ACT Brumbies en Super 12 en 1998, il se fait rapidement remarquer au sein d’une équipe dominante qui parvient régulièrement à tenir tête aux impressionnantes armadas néo-zélandaises. Il est presque immédiatement convoqué par le coach des Wallabies Rod MacQueen qui l’emmène pour une tournée en Argentine mais ne le retient pas quelques mois plus tard dans le squad australien pour la Coupe du monde. Mortlock voit donc ses compatriotes remporter leur second titre mondial depuis Camberra et se remet au travail pour revenir plus fort et profiter des départs à la retraite à venir des anciennes gloires Tim Horan et Jason Little.
Son équipe des Brumbies lui offre la possibilité de se montrer dès l’année suivante. Au sein d’un collectif qui compte de nombreux champions du monde dont les génies Gregan et Larkham, il évolue le plus souvent au centre et met à profit son gabarit de troisième ligne (1m91 pour plus de 100kg) pour créer des brèches dans toutes les défenses adverses. Il s’avère également être un défenseur très solide, rude sur l’homme, et un buteur fiable capable de compenser cette faiblesse chez son ouvreur. Les Brumbies terminent la saison régulière en tête de la compétition mais s’inclinent en finale face aux invincibles Canterbury Crusaders, leur deuxième défaite à ce stade après l’échec face au Blues d’Auckland en 1997.
Mortlock quant à lui vit une année simplement exceptionnelle : titulaire indiscutable avec les Brumbies, il devient le joueur australien le plus rapide à dépasser la barre des 50 puis celles des 100 points en sélection et le premier également à inscrire plus de 20 points lors de 4 matchs consécutifs. La déception de 1999 est belle et bien digérée, et Stirling Mortlock devient une référence mondiale à son poste.
Le leader de combat des lignes arrières
5 novembre 2003. Demi-finale de Coupe du monde, les Australiens tenants du titre, retrouvent leurs meilleurs ennemis les All Blacks pour une place en finale. Comme souvent, les Néo-Zélandais ont déroulé jusque-là, se permettant même le luxe de gagner leur quart de final avec 20 points d’écart contre les rugueux Sud-Africains. Chez les All Blacks, le gestionnaire Andrew Mehrtens a laissé sa place au génial Carlos Spencer qui joue dans un fauteuil derrière un pack qui allie combativité et mobilité. Aux côtés de l’imprévisible demi d’ouverture, une ligne de trois-quarts de feu avec les polyvalents Mauger, McDonald et Muliaina et les flèches Rokocoko et Howlett qui empilent les essais. Malgré leur statut de champions du monde en titre, les Australiens ne partent pas favoris face à l’armada néo-zélandaise qui vient de remporter les deux derniers Tri-Nations. Du côté des Wallabies, Stirling Mortlock fait désormais partie des cadres. Après avoir manqué l’intégralité de la saison internationale 2001 – et notamment la mythique tournée de Lions britanniques et Irlandais – à cause d’une blessure à l’épaule, il a fait un retour remarqué dans la ligne d’attaque australienne. Aligné au centre, il a pour mission d’apporter sa puissance et son sérieux tant en défense qu’en attaque. Des voix s’élèvent pourtant pour critiquer le manque de finesse du joueur, jugé trop prévisible et moins essentiel à l’équipe depuis qu’il a été déchargé de son rôle de buteur au profit d’Elton Flatley. Mais dans ce match fermé où les défenses prennent le pas sur les attaques, Mortlock va rappeler à tous pourquoi il est indispensable à cette équipe. Dès la 8ème minute il lit parfaitement la combinaison Néo-Zélandaise et intercepte la passe sautée de Carlos Spencer pour aller inscrire un essai de 80 mètres en contre. Les All Blacks semblent sans solutions après ce coup de poignard et la défense australienne, emmené par leur infranchissable trois-quart centre, ne leur laisse aucune chance de refaire leur retard. Les Australiens l’emportent 22 à 10 et s’apprêtent donc à défendre leur titre, devant leur public, face à des Anglais qui impressionnent.
Malheureusement pour Stirling Mortlock et ses coéquipiers, les Wallabies ne parviennent pas à réaliser un inédit doublé en remportant un second titre consécutif. Dans une partie extrêmement serrée et indécise, ils s’inclinent finalement au bout des prolongations sur un drop du maestro anglais Johnny Wilkinson.
Cette Coupe du monde apparaît comme la fin d’une époque pour les Wallabies. Si George Gregan et Stephen Larkham sont toujours là, de nombreux champions du monde tirent leur révérence. Mortlock apparaît lui comme l’un des nouveaux leaders, son Mondial a été d’un haut niveau, avec en point d’orgue cette rude bataille menée face aux All Blacks qui lui a valu le titre d’homme du match. Avec les Brumbies aussi, les succès s’enchaînent puisque en 2001 l’équipe de Canberra termine une nouvelle fois en tête du classement général et s’impose cette fois-ci en finale face au Sharks de Durban pour offrir à l’Australie son premier titre dans la compétition. L’année suivante, ils confirment leur domination en s’offrant une troisième finale consécutive mais butent de nouveau sur leur bête noire – les Canterbury Crusaders – et ne parviennent pas à réaliser le doublé.
En 2004, après deux échecs en demi-finales, Stirling Mortlock est nommé capitaine des Brumbies alors que George Gregan (qui porte pourtant le brassard en sélection) est toujours dans l’effectif. Emmenés par leur centre et buteur, ils réalisent une saison parfaite en terminant de nouveau premiers avant de vaincre – enfin ! – les Crusaders en finale pour un second titre à la saveur bien particulière. Avec ce deuxième trophée, ils valident ainsi cinq années de très hautes performances où ils ont toujours cherché à innover dans les formes de jeu proposées.
Un joueur loyal qui enchaîne les records
6 octobre 2007. Les Australiens ont l’occasion de prendre leur revanche face aux Anglais qu’ils retrouvent en quart de finale de la Coupe du monde française, pour un match qui s’annonce explosif au Stade Vélodrome de Marseille. Si les Anglais semblent bien moins dominants qu’en 2003, eux qui se sont notamment faits étriller en phase de poule par les Springboks du revenant Bobby Skinstadt 36-0, les Australiens ne partent pas beaucoup plus confiants. Depuis 2004, la sélection enchaine les résultats inquiétants, ne parvenant pas à remporter le moindre Tri-Nation face au réveil de l’Afrique du Sud et surtout des All Blacks qui s’appuient sur les bijoux Richie McCaw et Daniel Carter ainsi que sur le bouillant demi de mêlée Byron Kelleher. Stirling Mortlock reste pourtant une valeur sûre de l’équipe, lui qui fête sa cinquantième sélection internationale en 2006 et qui est toujours à la pointe du combat depuis son poste de centre. Son abnégation et sa régularité poussent le nouveau sélectionneur John Connolly (qui a succédé au sulfureux Eddie Jones) à le désigner capitaine lors de sa prise de poste à la place de la légende George Gregan. Ce choix démontre une volonté de se réfugier derrière les valeurs fortes dégagées par Mortlock alors que la sélection vit une période compliquée, peinant à renouveler l’ossature de l’équipe ayant brillé en 1999 et en 2003. Cette revanche de la finale de Sydney donne de nouveau lieu à un affrontement hargneux qui voit les Australiens sortir par la toute petite porte après une défaite 12 à 10. George Gregan et Stephen Larkham quittent la scène internationale et c’est donc une équipe totalement en reconstruction que le capitaine Mortlock est chargé de ramener vers les sommets puisqu’il est confirmé dans son rôle à l’issue de cette déroute. Devenu le 3ème meilleur marqueur de l’histoire de sa prestigieuse sélection il va devoir faire le lien entre l’ancienne génération et la nouvelle, symbolisée par les talentueux Elsom, Giteau, Mitchell et Ashley-Cooper.
A 31 ans, Stirling Mortlock aborde la dernière étape de sa carrière avec un objectif clair : disputer la Coupe du monde 2011 en Nouvelle-Zélande et ramener l’Australie au sommet du rugby mondial. Avec les Brumbies, dont il est toujours le capitaine également, il dispute son 100ème match en 2008 et inscrit son 50ème essai en 2009. Il devient également le meilleur marqueur de points de l’histoire du Super Rugby cette même année en dépassant le joueur des Crusaders Andrew Mehrtens face auquel il a tant peiné au début de sa carrière (avant d’être détrôné par Daniel Carter, autre joueur de Canterbury). Avec les Wallabies, il signe également de belles performances en s’imposant pour la première fois depuis 8 ans en Afrique du Sud et en remportant la première série de victoire face à l’Angleterre depuis 10 ans. Mais en 2009, l’Australie termine à la dernière place du Tri-Nations et le capitaine fait les frais de cette nouvelle contreperformance : il est écarté en cours de compétition, prié de laisser sa place à des profils plus jeunes. Il cherche alors à se relancer en Super Rugby et tente un nouveau pari en quittant les Brumbies pour rejoindre la nouvelle franchise des Melbourne Rebels dont il est immédiatement nommé capitaine. Au sein de cette équipe inexpérimentée qui peine à enchaîner les résultats, il apporte son leadership et son sens du combat mais c’est insuffisant pour convaincre le sélectionneur Robbie Deans de le convoquer pour la Coupe du monde 2011. Après 80 sélections dont 29 capitanats, Mortlock prend donc sa retraite internationale. Terminant sur une dernière saison comme capitaine des Rebels, il tire également sa révérence en Super Rugby en 2012, à 35 ans, et rejoint l’équipe dirigeante de la franchise de Melbourne.
Un profil jamais remplacé en Australie
12 novembre 2022. Sur la pelouse du Stade Flaminio de Rome, les Wallabies sont à terre après l’humiliante déroute 28-27 face aux coéquipiers de Lamaro et Capuozzo. C’est leur 3ème défaite en 4 matchs lors de cette tournée européenne, toute d’un seul petit point (contre l’Angleterre, la France et donc l’Italie) face à une seule victoire, d’un point également, contre l’Ecosse. Incapable d’enchaîner les résultats et de convertir ses occasions, cette grande nation du rugby semble plus que jamais en perdition. Plus que son jeu c’est également l’absence de leaders qui interroge puisque seul l’irréprochable Michael Hooper semble avoir le mental requis pour sonner la révolte, lui qui a cependant demandé à prendre du recul avec la sélection et le capitanat face à l’immense pression inhérente à son statut. Dans la composition d’équipe subsistent des joueurs talentueux mais très peu dégagent la rage de vaincre et la combativité d’un Stirling Mortlock. Celui qui a brillé toute sa carrière par ses courses rectilignes, ses placages appuyés et ses coups de pieds au but décisifs a souvent été critiqué pour le manque de variété et de finesse dans son jeu mais n’a jamais semblé autant manquer à son ancienne équipe. Derrière son tempérament de guerrier se trouvaient une efficacité redoutable (plus de 1550 points et 83 essais inscrits en 204 matchs avec les Brumbies, les Rebels et les Wallabies) et une grande discipline malgré son engagement (3 cartons jaunes reçus au cours de sa carrière, aucun rouge). Il est aujourd’hui le symbole – au même titre que George Gregan, Stephen Larkham et George Smith – d’une équipe des Brumbies qui a régné sur le Super Rugby face aux Crusaders pendant plusieurs saisons. Il a également su prendre la relève de la meilleure génération de trois-quarts centres de l’histoire de son pays (Tim Horan, Jason Little et Daniel Herbert), devenant très vite un cadre de sa sélection.
Après sa retraite est apparue une génération absolument brillante par le talent mais totalement inconstante et manquant singulièrement de professionnalisme. Les Quade Cooper, James O’Connor et autres Kurtley Beale ont autant fait parler d’eux par leurs affaires extra sportives que par leurs performances et ont tous cédé aux sirènes des clubs étrangers, délaissant leur sélection. Des joueurs qui n’ont pas été en mesure de prendre la relève de leurs brillants prédécesseurs n’atteignant jamais le niveau d’engagement du mythique numéro 13 des Brumbies.
Stirling Mortlock est peut-être le parfait opposé du Néo-Zélandais Sonny Bill Williams. Un joueur qui n’a jamais bénéficié d’une immense aura médiatique malgré ses performances, sa loyauté et sa régularité au plus haut niveau ainsi que son statut de capitaine de toutes les équipes où il a évolué. Un véritable leader par l’exemple que tout entraineur rêverait de pouvoir aligner dans sa composition, à commencer par Eddie Jones qui l’a lancé avec les Brumbies en 1998 avant de le diriger en sélection entre 2001 et 2005. Ce même Eddie Jones qui vient d’être de nouveau nommé à la tête de l’équipe australienne en perdition, 18 ans après la fin de son précédent mandat, et qui fait face à un colossal chantier de reconstruction.
Credits Stirling Mortlock ©Planetrugby.com