Une édition haletante au niveau de jeu élevé
On ne le répétera jamais assez : le Tournoi est une institution. Un moment à part, nourri de rivalités plus que centenaires. Cette édition aura encore une fois donné lieu à des affrontements épiques : la victoire inaugurale des Ecossais à Twickenham, le choc au sommet entre Français et Irlandais, la déroute anglaise à domicile face à la France ou encore la rigueur irlandaise à Murrayfield malgré des conditions ultra défavorables.
Les statistiques confirment la qualité du spectacle proposé cette année : 91 essais inscrits au total (soit une moyenne de plus de 6 essais par match), plus de 50% de victoires à l’extérieur et plusieurs records (individuels et collectifs) battus ou égalés.
En particulier, le très attendu match Irlande-France a ébloui l’ensemble de la planète rugby. Les deux favoris ont assumé leurs statuts respectifs dans une bataille explosive avec un temps de jeu effectif hallucinant de 46 minutes et 10 secondes pour 1 334 mètres parcourus par les deux équipes avec le ballon. Des chiffres qui démontrent la dimension résolument offensive de ce choc, loin des affrontements fermés et sclérosés par l’enjeu que l’on peut observer parfois. Ce match, et cette édition dans son ensemble, ont été une formidable publicité pour le rugby peu avant le démarrage de la Coupe du Monde.
Ecosse et Italie : en progrès sans parvenir à confirmer au classement
Deux nations aux parcours différents mais qui garderont le même goût d’inachevé à l’issue de cette édition.
Des Ecossais sur le podium mais frustrés
D’un côté des Ecossais qui avançaient avec de réelles ambitions de victoires, affichées d’entrée avec leurs deux succès inauguraux en Angleterre et face au Pays-de-Galles. Malheureusement, les hommes de Gregor Townsend souffrent toujours de la même inconstance et ils ont ensuite enchainé deux défaites face à la France et surtout à domicile face à l’Irlande, mesurant une nouvelle fois le chemin qui les séparent encore des toutes meilleures nations mondiales. L’Ecosse ne semble plus avoir réellement de faiblesses avec une conquête rassurante, une troisième ligne complète et ultra performante dans les zones de rucks et des lignes arrières proposant un excellent mélange de vitesse et de puissance. La paire de centre Tuipulotu-Jones aura notamment été l’une des grandes satisfactions, se montrant dangereuse face à tous les adversaires. Mais il leur manque certainement encore un peu de densité sur certains postes ainsi qu’une plus grande rigueur pour maintenir leur niveau de jeu. Les Ecossais se contenteront d’une frustrante troisième place après avoir fini 4èmes lors des trois dernières éditions.
Des Italiens fannys mais avec des promesses
Côté transalpin, c’est une nouvelle cuillère de bois dans cette édition. Une fâcheuse habitude pour les coéquipiers de Lamaro qui ne sont pas parvenus à confirmer les belles promesses entrevues cet automne avec notamment une victoire marquante face à l’Australie. La réception du Pays-de-Galles (qu’ils avaient vaincu l’an passé à Cardiff) avait des airs de match idéal pour confirmer les débuts encourageants face à la France et à l’Angleterre mais la partie a finalement tourné largement à l’avantage des hommes de Warren Gatland. Comme souvent, cette équipe d’Italie repart de zéro à l’approche de la Coupe du Monde avec cependant quelques belles promesses individuelles : le retour en forme de Sebastian Negri et la confirmation du talent d’Ange Capuozzo qui a beaucoup manqué en fin de Tournoi. Enfin, les U20 italiens ont une nouvelle fois montré de belles choses, confirmant que le réservoir national possède un certain potentiel.
Angleterre et Pays de Galles : simple méforme ou crise profonde ?
Les deux nations les plus titrées dans le Tournoi ont vécu une édition 2023 particulièrement difficile, eux qui trustaient encore les premières places en 2020 et 2021.
Des Gallois sur la mauvaise pente
Du côté gallois, cette déroute est la confirmation de la baisse de niveau de jeu entrevue depuis 2 ans ainsi que de la crise profonde qui agite la fédération depuis plusieurs mois. L’équipe se repose toujours sur l’incroyable génération lancée à la veille de la Coupe du Monde 2011, des joueurs usés et vieillissants, loin de leur meilleur niveau, à l’instar de l’ouvreur Dan Biggar. Cependant, la relève tarde à apparaître en dehors de quelques cas particuliers, rarement mis dans les meilleures dispositions. Le retour de Warren Gatland sur le banc confirme ce refus de repartir sur des bases neuves, augurant des saisons difficiles à venir pour une sélection qui a pourtant toujours fait preuve d’une incroyable combativité, se renouvelant sans cesse malgré un réservoir limité.
Des Anglais groggy
Du côté des Anglais, la situation est sensiblement identique. Malgré le changement de sélectionneur survenu à l’automne, l’ossature demeure la même et, pire, de vieilles gloires absentes depuis quelques saisons ont même été rappelées à la rescousse. A quelques exceptions près le XV aligné par Steve Borthwick dans ce Tournoi aurait pu être celui de son prédécesseur en 2020. On est donc loin d’une reconstruction et d’un nouveau cycle. Le symbole de ce pas en arrière se nomme Marcus Smith : le talent du joueur est indéniable mais il n’a jamais pu être mis dans les conditions optimales pour s’exprimer, faisant même figure de principale victime de la gifle infligée par les français à Twickenham. Des Anglais dont la situation rappelle celle des Français en 2011 et qui se mettront certainement en mode commando pour le Mondial, bénéficiant d’une partie de tableau relativement dégagée en phase finale. A condition de sortir des poules.
France et Irlande : au sommet du rugby mondial et européen
Les numéros 1 et 2 au classement IRB étaient attendus sur tous les terrains et ont confirmé qu’ils étaient bien au-dessus de la mêlée au sein de l’hémisphère nord.
Une Irlande surpuissante
Attendus comme les grands favoris de la compétition, les coéquipiers de Jonathan Sexton ont affirmé leur statut en remportant la compétition pour la 15ème fois de leur histoire, réalisant leur 4ème Grand Chelem (le deuxième en 5 ans). Meilleure défense du Tournoi et deuxième meilleure attaque, l’Irlande a souvent semblé injouable comme lors de la revanche face au XV de France à Dublin et plus encore lors du très attendu affrontement face aux Ecossais. Ce jour-là, malgré un Murrayfield bouillant et plusieurs blessures subies(et celles notamment leurs deux talonneurs), les hommes d’Andy Farrell ont réalisé une véritable démonstration de force en ne semblant jamais véritablement mis en danger. Les Irlandais ont fait preuve d’une maîtrise collective impressionnante, s’adaptant à chacun de leurs adversaires aussi bien défensivement qu’offensivement. Bien encadrés par les leaders que sont Jonathan Sexton, Peter O’Mahony ou James Ryan, des joueurs plus jeunes ont confirmé leur immense talent et se sont imposés comme des références mondiales : le talonneur Dan Sheehan, le numéro 8 Caelan Doris ou l’arrière Hugo Keenan notamment. Cette équipe ne semble désormais plus avoir la moindre faiblesse et conforte son statut de numéro 1 mondial à l’approche d’une Coupe du Monde dont elle n’a jamais atteint les demi-finales dans son histoire et qu’elle aborde désormais avec le statut de favorite. A noter également, le Grand Chelem réalisé en parallèle par les U20, le deuxième consécutif, preuve de l’excellent travail de fond de la fédération irlandaise auprès de ses jeunes talents. De quoi envisager quelques années supplémentaires de domination pour les verts en Europe.
Des Français réguliers
Enfin du côté Français, si les débuts ont été poussifs avec une victoire étriquée face aux Italiens et une défaite logique face aux Irlandais, l’équipe est ensuite montée en puissance avec en point d’orgue la plus large victoire de l’histoire face aux rivaux anglais. Ce match, et cette réaction après l’écueil irlandais, ont confirmé le caractère du groupe de Fabien Galthié et son impressionnant potentiel offensif. Après avoir été parfois critiqués pour leur jeu trop restrictif à base de dépossession, les Tricolores ont été la meilleure attaque du tournoi avec 174 points dont 21 essais. Parmi ceux-ci, quelques actions d’envergure qui resteront dans les mémoires comme cette chevauchée de Penaud avec le relais de Jelonch à Dublin ou cette action de grande classe de la paire Ntamack-Dupont pour mettre Penaud (encore lui) sur orbite contre les Gallois. Fait rare dans l’histoire du XV de France, une équipe très proche de celle de 2022 a pu enchainer, n’empêchant pas quelques nouveaux visages comme le Lyonnais Ethan Dumortier de saisir leur chance. Cette stabilité dans l’effectif et la confiance affichée par les sélectionneurs constituent un changement profond pour le XV de France et est certainement à l’origine de la très belle régularité de l’équipe depuis 4 saisons. S’ils n’ont pas conservé leur titre, les Bleus ont maintenu leur niveau de confiance et peuvent donc s’avancer dans les meilleures conditions pour démarrer « leur » Mondial. Un Mondial où il croiseront vraisemblablement la route des Irlandais, en quart ou en demi-finale.
Baromètre des joueurs Français
Des performances en courbe ascendante
L’état de forme général de l’équipe au démarrage du Tournoi n’était pas le même qu’en 2022 avec quelques absents (Woki, Gros, Villière), des convalescents indisponibles pour quelques matchs (Cros, Danty, Mauvaka) et des joueurs clés loin de leur meilleur niveau physique (Willemse, Alldritt, Ntamack). Malgré cela, Fabien Galthié et son staff ont su faire confiance à l’ossature installée depuis plusieurs saisons, faisant évoluer leur plan de jeu plus que leurs hommes.
Après un départ très difficile en Italie où les Français ont certainement livré leur plus mauvaise prestation depuis plusieurs années avec notamment 18 pénalités concédées, le sommet en Irlande les a vu rivaliser une partie du match face à des verts totalement injouables au prix d’une immense partition défensive. Insuffisant pour empêcher les Irlandais de leur inscrire 4 essais et de mettre fin au record d’invincibilité du XV tricolore. Un match qui aura servi d’électrochoc pour le groupe qui se rassurera face à l’Ecosse (32-21) avant de libérer totalement son potentiel face à des Anglais totalement impuissants (53-10). La victoire finale face aux Gallois restera anecdotique, ne pouvant priver les irlandais d’un sacre mérité.
Cette courbe ascendante est due en partie au retour en forme de plusieurs cadres. Un Paul Willemse encore loin de son incroyable niveau de 2022 mais qui aura retrouvé du rythme et de la discipline, un Gregory Alldritt qui a paradoxalement profité du Tournoi pour se ressourcer et retrouver de l’avancée et un Romain Ntamack timoré qui se sera lâché progressivement pour conclure sur une série de prestations remarquables. Également les retours en cours de Tournoi du guerrier François Cros, omniprésent en défense et au soutien, du puncheur Peato Mauvaka ainsi que du point d’ancrage Jonathan Danty auront énormément consolidé l’édifice collectif.
Flament stratosphérique
Parmi les belles confirmations, attendues pour certaines, on citera évidemment un Thibaud Flament stratosphérique qui a plané sur l’ensemble du Tournoi avec des stats individuelles phénoménales (2ème meilleur plaqueur de la compétition, 3 essais inscrits). Le joueur du Stade Toulousain a très certainement verrouillé le maillot numéro 4 en l’absence de Cameron Woki. Son coéquipier Thomas Ramos a probablement fait de même au poste d’arrière, terminant meilleur buteur de la compétition avec 84 points (record français sur une édition), contribuant également grandement au renouveau offensif de l’équipe par son alternance avec Ntamack sur les lancements de jeu. Reda Wardi a de son côté su saisir sa chance en l’absence de Jean-Baptiste Gros alors que le Bordelais Sipili Falatea a confirmé qu’il était une excellente option en sortie de banc. Moins en vue que lors de ses derniers matchs, le centre Yoram Moefana aura lui gagné en expérience en disputant son deuxième Tournoi à seulement 22 ans alors que le nouveau venu Ethan Dumortier a pu se montrer en disputant toutes les rencontres comme titulaire.
Des cadres au rendez-vous
Enfin, les cadres de l’équipe que sont Cyril Baille, Julien Marchand, Uini Atonio, Charles Ollivon, Antoine Dupont, Gael Fickou ou Damian Penaud ont eux confirmé qu’ils étaient bien intouchables et seront, sauf blessures, titulaires en automne pour le match d’ouverture face aux All Blacks.
Le staff français aura donc su étoffer son groupe tout en consolidant l’expérience collective d’une équipe qui se connaît maintenant par cœur. Seule ombre au tableau : la grave blessure d’Anthony Jelonch, l’un des meilleurs Français sur les premiers matchs, qui risque de compromettre sa participation à la Coupe du Monde.
L’équipe du Tournoi
Baille (FRA) – Sheehan (RL) – Sinckler (ANG)
Flament (FRA) – Ryan (IRL)
Negri (ITA) – Doris (IRL) – Ollivon (FRA)
Dupont (FRA) – Sexton (IRL)
Lowe (IRL) – Fickou (FRA) – Jones (ECO) – Penaud (FRA)
Keenan (IRL)