A un moment charnière où les valeurs du rugby sont bousculées par les travers du professionnalisme, illustrés dernièrement par les attitudes chambreuses de mâles puérils, le blog relaie cette magnifique tribune signée par Serge Collinet.
Ancien joueur de première division, entraîneur pédagogue reconnu et auteur de nombreux livres d’éducation rugbystique (des « best sellers » techniques comme il dit en souriant), le formateur entre autres des internationaux Wesley Fofana et Vincent Rattez livre un message fort, à la fois attendrissant et ferme, sur le rappel de valeurs desquelles le ballon ovale ne doit pas s’échapper. Rafraîchissant !
L’esprit d’équipe
« Petit, déjà, j’avais le sentiment de pratiquer un sport différent des autres avec mes copains de l’école. Les mercredis et les samedis étaient des jours à part. La veille, je préparais mon sac de rugby avec application. Le matin je me levais avec excitation. Les Gallois de Gareth Edwards dominaient alors le Tournoi et Roger Couderc faisait résonner sa voix dans le téléviseur : « Allez les petits ! ». Les Bleus emmenés par Jean-Pierre Rives étaient nos héros.
Au stade, notre instituteur tenait des propos peu ordinaires où se mêlaient des mots semblant sacrés pour lui : altruisme, courage, solidarité, tolérance, respect. Par je ne sais quel processus toutes ces notions, bien abstraites pour des petits, devaient nous conduire à la finalité. Elle n’était pas de gagner mais au bout du compte d’avoir l’esprit d’équipe.
La victoire était seconde et la « manière d’être » première. Curieux message dans une société où la performance et la compétition étaient reines.
L’apprentissage du collectif
C’est bien plus tard, ayant repris le flambeau de la transmission, que j’ai réalisé la chance d’avoir pu pratiquer le rugby. Un drôle de sport où il faut avancer en envoyant le ballon derrière, face à des adversaires qui ont le droit de t’attraper et de te plaquer au sol. Cette spécificité entraîne bien des épreuves pour celui qui serre le ballon sur son cœur.
Il porte, au nom des siens, ce que l’adversaire désire lui reprendre, un engin ovale très précieux qui a été conquis par les efforts des équipiers. Seul, il n’est rien, pire, il est en danger.
Dans l’équipe le petit côtoie le grand, le gros, le maigre, l’agile, le pataud et le très rapide, le lent. Il y a une place pour chacun même si c’est toujours un tour de force pour le coach de composer un ensemble cohérent avec toutes ces particularités. Alors chacun essaie d’apporter au collectif ce qu’il a de meilleur. Au rugby la star c’est l’équipe. Tu peux courir le 100 mètres en moins de 11 secondes, seul, tu ne marqueras jamais un essai. Sans le travail, parfois le sacrifice, des copains pour conquérir le ballon, pour mettre l’équipe en marche avant et pour t’envoyer un bon ballon tu ne feras jamais rien.
De l’action à la transmission
Ce n’est en somme que plus tard que j’ai compris que les mots sacrés que prononçait mon instituteur ne sont pas que de vagues notions. Ce sont des valeurs. Ingrédients d’une alchimie dont le match est le creuset.
Elles constituent le socle solide sur lequel tous les éducateurs qui les ont intégrées construisent leur projet pour les jeunes qui viennent s’initier au rugby.
On dit souvent que le rugby est l’école de la vie. Il est en fait l’école de ce qu’elle devrait être dans une société où primeraient l’altruisme, le courage, la solidarité, la tolérance et le respect.
Il y a une place pour chacun dans une équipe de rugby mais pas de la place pour tout le monde parce qu’être rugbyman , être reconnu comme tel par ses frères de l’équipe, c’est faire la preuve, dans les épreuves, que l’on respecte les valeurs de la grande famille de ceux qui ont un jour porté au front un ballon ovale. Ce n’est pas une question de niveau sportif car il y a des compétitions pour tous les potentiels physiques. C’est une question d’état d’esprit. Ici la théorie n’est pas possible. On n’apprend pas les valeurs de l’ovalie dans les livres, on les incorpore sur le champ de jeu. On les fait siennes puis on y est fidèle. En ce sens, entrer en rugby engage.
Alors quand le corps ne permet plus de participer aux joutes du weekend, reste l’esprit et la possibilité qu’il offre de devenir un passeur de valeurs.
Pour que nos petits rugbymans, devenus juste des hommes biens, diffusent à leur tour les valeurs de ce sport pas comme les autres.
« Allez les petits ! ».
Credits Jean-Pierre Rives ©Brothers in Arms, David Beresford