Déjà touchée par la suspension des matchs, la Ligue 1 a subi un nouveau coup dur la semaine passée puisque Canal + et BeIn Sport ont refusé de procéder au versement de la prochaine échéance des droits TV. Cette décision fait vaciller tout un modèle économique, très dépendant des revenus apportés par les media, et qui devra nécessairement faire sa mue post crise.

Une économie bien particulière

Le football, comme de nombreux sports professionnels, présente une économie bien particulière. Ses revenus sont en effet à hauteur de 50% générés par les deniers de médias disposés à dépenser des petites fortunes pour diffuser le sport plus populaire. Les budgets des clubs de l’élite se sont ainsi envolés ces 20 dernières années sous l’effet de recettes TV exponentielles. De 100 millions d’euros versés par saison par Canal + à la fin des années 90, le prochain contrat attribué par la LFP (Ligue Professionnelle de Football) à l’opérateur hispano-chinois Mediapro offrira une manne de 1,153 milliard d’euros par saison aux clubs de Ligue 1.

Finances Ligue 1 : le montant des droits TV a été multiplié par 10 en 20 ans
Les droits TV pour la Ligue 1 ont été multipliés par 10 en 20 ans !

Le problème est que les clubs, forts de ces recettes, se sont progressivement lancés dans une course à l’armement avec une masse salariale galopante pour conserver leurs meilleurs éléments et des indemnités de transferts à acquitter en nette inflation pour renforcer leurs effectifs et briguer les premières places.
La conséquence de cette orientation budgétaire est un déficit quasi permanent pour tous les clubs professionnels français et européens. Les clubs vivent au-dessus de leurs moyens avec des postes de dépenses bien supérieurs aux revenus engendrés. Ainsi au terme de la saison 2018-2019, les représentants de Ligue 1 ont enregistré 130 millions d’euros de pertes, dont 91M€ pour l’Olympique de Marseille, 67M€ pour Lille et 26M€ pour Bordeaux. Et dépensé la somme vertigineuse de 1.4 milliard d’euros en salaires de joueurs !

ClubRésultat NetRevenusdont Droits TVDépensesdont SalairesRevenus Transferts
Amiens3.332.421.637.317.59.0
Angers-11.334.723.746.728.30.8
Bordeaux-25.771.343.7126.960.538.6
Caen0.736.223.449.928.214.5
Dijon1.434.121.237.621.97.7
Guingamp0.439.126.345.727.46.6
Lille-66.664.239.9156.772.053.8
Lyon6.2220.8122.0275.0130.988.2
Marseille-91.4129.659.8240.6127.218.3
Monaco0.0111.675.6276.8147.1155.1
Montpellier3.551.131.766.739.520.6
Nantes0.551.127.576.241.827.5
Nice6.754.434.286.146.139.5
Nîmes3.232.324.628.520.90.2
PSG27.6658.7156.6704.4370.975.9
Reims0.141.426.448.627.57.1
Rennes-1.079.651.298.763.620.8
Saint-Etienne0.574.442.288.953.617.1
Strasbourg4.948.726.052.028.611.0
Toulouse10.336.623.159.635.534.0


La plupart des clubs ont alors besoin de recourir à la vente de joueurs pour équilibrer leurs comptes, se déséquilibrant de facto sportivement pour survivre financièrement.
Seuls les plus grands d’entre eux parviennent à trouver des revenus additionnels conséquents afin de conserver voire conforter leurs ambitions sportives. Certains auprès de richissimes investisseurs plus motivés par le prestige ou la valorisation de leur image de marque que par de futurs rendements financiers de leur apport, à l’image du PSG et Manchester City qui bénéficient des mannes des cheiks arabes du Moyen Orient. D’autres auprès d’oligarques russes (Chelsea, Monaco) ou de milliardaires américains (Manchester United, Arsenal, Marseille, AS Rome) qui assouvissent leur quête d’émotions fortes en se payant un club de foot prestigieux.

Finances Ligue 1 : Roman Abramovich a été un des premiers milliardaires à s'offrir un club de football de premier plan, en acquérant Chelsea en 2003
Roman Abramovich, ici avec José Mourinho, a été un des premiers milliardaires à s’offrir un club de football de premier plan, en acquérant Chelsea en 2003

Pour les autres, l’écrasante majorité, vendre des « actifs » joueurs est la seule issue dans ce modèle si particulier où les riches sont de plus en plus nantis et où les écarts se creusent inexorablement entre les tops clubs et le reste du peloton, nuisant au suspense de notre championnat.
Le PSG, doté d’un budget de 637M€ présente ainsi un budget 10 fois supérieur à 14 clubs de Ligue 1, et 24 fois supérieur à celui de Nîmes (27M€). Pour les Nîmois, comme pour les 2/3 des clubs de Ligue 1, la vigilance budgétaire est décuplée pour égaliser revenus et coûts à chaque fin d’exercice.

La crise, une opportunité pour revoir tout un modèle

Un manque alarmant de liquidités

Cette crise sanitaire sans précédent depuis un siècle secoue grandement l’économie du football. Les recettes de billetterie sont nulles, les media rechignent à payer une compétition qui est à l’arrêt, des sponsors se désengagent car eux-mêmes percutés dans leur activité par les répercussions du coronavirus. Sans argent entrant dans les caisses, les clubs se retrouvent en grand manque de liquidité.

La volonté première des clubs est pour le moment de finir la saison, quitte à évoluer dans des stades vides, à jouer tous les deux jours, pour toucher le solde des diffuseurs, tout en comptant sur un geste de soutien des footballeurs comme ceux effectués par les joueurs de la Juve et du Barça qui ont consenti à de larges baisses de salaires. Car, comme tout employeur, ils doivent continuer de payer en parallèle les conséquents émoluments de leurs salariés joueurs, que les indemnisations de l’Etat ne permettent de couvrir qu’en faible partie (4 850€). Jouer leur permettrait en outre de préparer le mercato estival source de revenus additionnels vitaux pour leur économie.

Néanmoins, plutôt que de précipiter une reprise de la Ligue 1 que la réalité sanitaire ne permet pas de projeter, aussi malheureuse soit elle la période actuelle peut être l’occasion de revoir un modèle constamment endetté.
Se reposer uniquement sur une augmentation continue des droits TV pour se refaire une santé serait extrêmement risqué, tant ce modèle a fini par mettre à mal les comptes de résultats. Le poste des dépenses doit donc être soumis à une révision détaillée.

Un train de vie dépensier à réduire significativement

Finances Ligue 1 : A l'instar de la NBA, la Ligue 1 pourrait avoir recours à un salary cap pour encadrer la masse salariale des effectifs
A l’instar de la NBA, la Ligue 1 pourrait avoir recours à un salary cap pour encadrer la masse salariale des effectifs ©Getty Images

La première de ces mesures structurelles est la mise en place d’un salary cap visant à plafonner les salaires comme cela est pratiqué Outre Atlantique dans la ligue américaine de football (MLS) ou bien dans la clinquante NBA. Le salary cap permettrait d’instaurer un garde-fou à la course à l’armement des clubs et d’encadrer une masse salariale qui pèse bien trop lourd dans les charges des clubs. Et comme le dit le sage Christian Gourcuff : « Ce n’est pas parce qu’un joueur gagne moins d’argent qu’il jouera moins bien au football. » 

Cet encadrement devra être complété par la limitation d’un nombre de joueurs sous contrat qui a nettement augmenté ces dernières années afin de maximiser les probabilités de revenus de transferts. Des clubs comme Monaco ou Chelsea se sont ainsi dotés d’effectifs pléthoriques (76 joueurs sous contrat cette saison pour le club de la Principauté), composés notamment de jeunes joueurs, pour multiplier les possibilités spéculatives de revente et ainsi engendrer des rentrées d’argent supplémentaires.

Le football est ainsi progressivement devenu un marché spéculatif avec des paris établis sur de jeunes talents, associés à des espérances de plus-value de plus en plus ciblées sur de courtes échéances. Il doit être à tout prix nettoyé de ces pratiques de « trading » qui ont conquis les clubs français ces dernières années (Monaco, Lille, Bordeaux).
Réguler davantage le marché des transferts permettra également de limiter la rémunération des agents et des intermédiaires qui gravitent autour de ces mouvements et qui s’est nettement accrue ces dernières années. Enfin à l’instar de la NBA, les échanges de joueurs pourraient même se développer pour ne pas grever les liquidités des clubs.

La crise actuelle n’épargnera personne, ni les clubs plus riches, ni les fortunes de leurs propriétaires dont les activités ou cours en bourse ont dévissé depuis mi-mars. Les clubs français ne pourront pas se faire l’économie d’une réflexion sur leur modèle économique et de l’étude de mesures correctrices.

Photo Une © AFP – Franck Fife