Depuis lundi soir l’attribution du 8ème Ballon d’Or à Lionel Messi fait débat. Retour sur une récompense qui ne valorise pas uniquement les performances sportives.

Messi devant Haaland et Mbappé

Lionel Messi a obtenu lundi soir son huitième Ballon d’Or après ses précédents sacres de 2009, 2010, 2011, 2012, 2015, 2019 et 2021. L’Argentin a devancé ses deux principaux adversaires dans la conquête à la plus prestigieuse des récompenses individuelles, Erling Haaland et Kylian Mbappé.

Dès la remise du prix, nombreux se sont offusqués devant la nouvelle victoire du numéro 10 de l’Albiceleste, mettant notamment en avant la fabuleuse saison de son dauphin norvégien, grand artisan du triplé Ligue des Champions – Championnat d’Angleterre – FA Cup réalisé par Manchester City, et auteur de 56 buts en 57 rencontres (!) toutes compétitions confondues.

Les critères d’attribution du Ballon d’Or

Avant de se décider, chacun des 100 votants, qui appartiennent aux 100 pays dont les sélections nationales figurent dans le Top 100 du classement FIFA, a dû prendre en compte les critères d’attribution qui sont au nombre de 3 dans le règlement du Ballon d’Or :
1- Les performances individuelles, et le caractère décisif et impressionnant des prétendants
2- L’aspect collectif et les trophées remportés
3- La classe du joueur et son sens du fair-play


A la première lecture des 3 règles éditées, probablement que la saison stratosphérique individuellement (point 1) et collectivement au vu des trophées gagnés (point 2) de Haaland devait emporter la décision. Cependant il faut garder en tête que dans tout règlement il y a de la place pour de l’interprétation des règles éditées à l’instar de l’arbitrage de M. O’Keeffe en 1/4 de finale du Mondial de rugby, voire même de la place pour l’intégration implicite de nouveaux critères.

Deux critères (supplémentaires ou complémentaires suivant les points de vue) sont notamment à mettre en relief et ont déjà fait pencher la balance dans l’histoire de l’attribution du Ballon d’Or : le poids de la Coupe du monde tous les 4 ans et le poids de la morale qui viennent démultiplier la performance sportive.
Pour illustrer l’impact écrasant du Mondial dans les votes, il suffit de se référer au palmarès du BO. Les exemples sont légions, pour n’en citer que trois des plus marquants :
– 1982 : l’Italien Paolo Rossi décroche le trophée suprême grâce au sacre italien et à ses 6 buts inscrits lors du mondial espagnol alors qu’il n’a disputé que 3 matches en club, tout juste revenu d’une longue suspension.
– 2002 : on y reviendra, le Brésilien Ronaldo gagne son second BO, porté par le succès des Auriverde et ses 8 buts décisifs en Japon et en Corée du Sud, et éclipsant la saison discrète de Il Fenomeno à l’Inter Milan.
– 2006 : l’Italien Fabio Cannavaro est plébiscité suite au 4ème titre de la Squadra Azzurra et à ses performances colossales sur les terrains allemands, alors que ses prestations en club n’avaient pas été flamboyantes cette année-là et même obscurcies par le scandale du Calciopoli.

Messi sacré en 2023 comme Ronaldo en 2002

S’il y a un sacre qui s’apparente à celui obtenu par Lionel Messi lundi dernier, c’est bien le deuxième Ballon d’Or obtenu par le génial attaquant brésilien en 2002. Deux éléments viennent en effet se conjuguer pour justifier ces deux sacres : les faits, à savoir les performances réalisées en Coupe du monde par ces 2 monstres, et la morale, qui sublime les exploits sportifs.

Ainsi en 2002 les votants avaient choisi de plébisciter Ronaldo (the first one), malgré sa discrétion en club (7 buts inscrits en 16 rencontres), au détriment de son dauphin et compatriote Robert Carlos, également champion du monde mais également vainqueur de la Ligue des Champions avec le Real Madrid, ceci pour 2 raisons factuelles et morales:
1- factuellement : le Brésilien avait été l’acteur majeur du sacre mondial des Auriverde avec ses 8 buts inscrits dont un doublé en finale

2- moralement : le retour au plus haut niveau du Brésilien après des saisons gâchées par de très lourdes blessures avait évidemment pesé auprès du jury ; personne ne s’attendait plus à revoir R9 à ce niveau et sa résurrection en Asie en a été d’autant plus éclatante et saluée par les votants

Si on translate cette logique qui avait prévalu en 2002 au vote du Ballon d’Or 2023, on retrouve bien également ces deux éléments qui relèvent de la logique arithmétique et morale :
1- factuellement : Lionel Messi a été l’artisan numéro 1 du troisième sacre mondial des Argentins. Ses 7 buts inscrits dont un doublé en finale, sa frappe décisive en poule contre le Mexique alors que l’équipe de Lionel Scaloni était bien mal embarquée après sa défaite inaugurale contre l’Arabie Saoudite, ont pesé de tout leur poids dans le parcours victorieux de l’Albiceleste

2- moralement : les fans du foot du monde entier considéraient que la Coupe du monde 2022 était la dernière chance pour Messi, alors âgé de 35 ans, de remporter la compétition suprême. Comme dans un film hollywoodien, tout le monde (à part les finalistes français) espérait cette happy hand qui permettrait au natif de Rosario de rejoindre Pelé et Diego Maradona au Panthéon du football. La fin souhaitée ayant été exaucée, les votants ne pouvaient que valider le sacre tant attendu du meilleur footballeur du 21ème siècle.

Juxtaposé à la victoire incontestée de Ronaldo en 2002, le sacre de l’ancien génie barcelonais ne devait alors pas ou peu faire débat, malgré les performances XXL des supersoniques Haaland et Mbappé. Et il s’avère d’ailleurs moins contestable que les BO obtenus par la Pulga en 2019 et en 2021 aux dépens des infortunés Sadio Mané et Robert Lewandowski.
Mais pourtant il fait parler, essentiellement en France.

Pourquoi de telles réactions en France ?

C’est principalement en France que les réactions les plus véhémentes ont eu lieu, pas forcément justifiées par des motivations chauvines afin de réclamer la victoire de Kylian Mbappé, mais plus majoritairement pour valoriser la fantastique saison du « cyborg » Erling Haaland, grand acteur du triplé de Manchester City.

Mathématiquement les chiffres sont incontestables et démontrent la saison monumentale du Norvégien.
Rien à dire donc sur ces arguments chiffrés et sur le soutien apporté à l’avant-centre des Blues.
Cependant, pour déterminer qui de Messi ou de Haaland aurait dû être sacré, il y a probablement deux éléments qui biaisent la performance de Messi aux yeux des Français :
1- La défaite des Tricolores face aux Argentins au Qatar a été dure à digérer au vu du scénario absolument fascinant de la finale mondiale : une remontée héroïque de deux buts, un Mbappé colossal, et un bout de chaussure de Martinez qui prive Kolo Muani du but de la victoire, avant que les tirs au but ne soient fatals aux hommes de Didier Deschamps. Une défaite au ressenti d’autant plus cruel et amer que les vainqueurs argentins n’ont pas fait preuve d’un fairplay exemplaire dans les célébrations d’après-match.

2- La saison de Lionel Messi en Ligue 1 n’a pas été du même acabit de ses performances au Qatar, loin s’en faut. Accueilli royalement à Paris à l’été 2021, l’Argentin n’aura jamais démontré ni un attachement ni un enthousiasme manifeste pendant ses deux années passées en Hexagone. Autant ses performances lors de sa première saison parisienne étaient excusables en raison de son départ de son nid barcelonais où il avait tous ses repères, autant son retour au lendemain de son sacre mondial a été très décevant tant par ses prestations en demi-teinte sur le terrain que par son attitude, souvent tête baissée et visage fermé, très éloignée du leader attendu. Le fan du PSG en a été meurtri et le suiveur de la Ligue 1 déçu par la trop faible trace qu’aura laissée en Hexagone l’octuple Ballon d’Or.

Ce sont pour ces raisons principalement qu’une partie de la France du football s’est offusquée du huitième Ballon d’Or du joueur de l’Inter Miami, alors que le reste du monde les a logiquement balayées d’un revers de main, heureux de voir enfin le capitaine argentin décrocher le titre mondial, et certainement peu sensible à une Ligue 1 qui les passionne bien moins que d’autres ligues européennes.

Credits Ballon d’Or ©THOMAS SAMSON/Getty Images